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Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815
Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815
Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815
Ebook472 pages6 hours

Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815

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About this ebook

« GIROD DE L'AIN (Jean-Marie-Félix), 1789-1874.
Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815. Paris, Dumaine, 1873, in-8°,412 p.
Nombreuses anecdotes sur l'Ecole militaire de Fontainebleau, la campagne de Prusse, l'Espagne (blocus de Cadix, mort du général Sénarmont, la campagne de Russie.» p 73 - Professeur Jean Tulard, Bibliographie Critique Des Mémoires Sur Le Consulat Et L'Empire, Droz, Genève, 1971
LanguageEnglish
PublisherWagram Press
Release dateFeb 18, 2013
ISBN9781908902917
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    Dix ans de souvenirs militaires de 1805 à 1815 - Général Jean-Marie-Félix Girod De l'Ain

     This edition is published by PICKLE PARTNERS PUBLISHING—www.picklepartnerspublishing.com

    To join our mailing list for new titles or for issues with our books – contact@picklepartnerspublishing.com

    Text originally published in 1873 under the same title.

    © Pickle Partners Publishing 2013, all rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted by any means, electrical, mechanical or otherwise without the written permission of the copyright holder.

    Publisher’s Note

    Although in most cases we have retained the Author’s original spelling and grammar to authentically reproduce the work of the Author and the original intent of such material, some additional notes and clarifications have been added for the modern reader’s benefit.

    We have also made every effort to include all maps and illustrations of the original edition the limitations of formatting do not allow of including larger maps, we will upload as many of these maps as possible.

    Table des Matières

    AVANT-PROPOS 6

    DIX ANS  DE MES SOUVENIRS MILITAIRES 7

    Mon séjour a l'École militaire de Fontainebleau. 7

    Départ de Fontainebleau. — Voyage de Paris a Posen, où je rejoins le quartier général impérial. 10

    Mon arrivée au 9e léger.— Campagne de Pologne. 15

    Marche du 1er corps vers les bords de la Baltique. 17

    Combat de Morunghen. 18

    Continuation du mouvement de retraite sur la Vistule. 19

    Affaire de Grabaü. 21

    Mon départ pour le petit dépôt. 24

    Mon retour au régiment. 28

    Débuts de la campagne de Friedland. 29

    Bataille de Friedland. 30

    Marche vers le Niemen. 33

    Paix de Tilsit. 33

    Campement d’Insterburg. 34

    Nous recevons l'ordre de venir tenir garnison à Berlin. 36

    Arrivée et séjour à Berlin. 37

    Cantonnements aux environs de Berlin. 38

    Camp de Napoléonbourg. 41

    Départ pour l'Espagne. 43

    Traversée de la France. 43

    Campagne d'Espagne d'octobre 1808 a 1812.— Débuts des opérations du 1er corps en Biscaye. 46

    Bataille d'Espinosa (11 novembre 1808). 51

    Marche sur Burgos. — Revue de l'Empereur (21 novembre). 51

    Bataille de Sommosiera. 52

    Prise de Madrid. 53

    Aranjuez. 58

    Tolède. 58

    Retour à Madrid. 59

    Bataille d'Uclès. 60

    Occupation de Cuença. 63

    Poursuite de l'ennemi dans la direction de Valence. 64

    Marche par Tolède sur Talavera de la Reyna et Almaraz. 64

    Passage du Tage et marche sur Merida. 65

    Occupation de Truxillo et de Merida. 65

    Bataille de Medellin. 66

    Bataille de Talavera, 28 juillet 1809. 70

    Bataille d'Almonacid, 9 août 1809. 76

    Retraite de l'armée anglo-espagnole. 76

    Bataille d'Ocaña, 18 novembre 1809. 76

    Passage de la Sierra Morena et entrée en Andalousie, janvier 1810. 77

    Prise de Séville, 29 Janvier 1810. 78

    Blocus de Cadix. 80

    Prise du fort Matagorda. 81

    Mort du général Sénarmont. 82

    Exécution militaire de la ville d'Alcala. 83

    Combat de taureaux à Medina Sidonia. 85

    Les pontons. 86

    Construction et rassemblement d'une flotille. 87

    Je suis fait adjudant-major. 89

    Bataille de Chiclana, 8 mars 1811. 90

    Le Port Sainte-Marie. 93

    Camp de Villa-Martin. 99

    Je quitte le 9e léger pour rejoindre le général Dessaix, en qualité de capitaine aide de camp. 101

    Mon voyage à travers l'Espagne. 101

    Seville. 102

    Cordoue. 103

    Départ de Cordoue. 104

    Passage à Madrid. 105

    Affaire contre la bande du chef de guérillas April entre Otero et Ségovie. 105

    Mon retour en France. 111

    Je passe huit jours à Paris au milieu de ma famille. 111

    Mon voyage en poste de Paris au quartier général Impérial. 112

    Je rejoins le général Dessaix. 114

    Campagne de Russie, passage du Niémen. 116

    Wilna. 116

    Minsk. 116

    Bataille de Mohilew, 23 Juillet. 117

    Prise de Smolensk. 120

    Bataille de Volontina. 121

    Bataille de la Moskowa, 7 septembre. 124

    Mojaïsk. 129

    Moscou. 131

    Ma visite au maréchal Davout ; interrogatoire qu'il me fait subir. 131

    Mon retour à Mojaïsk. 132

    Je reviens à Moscou avec le général Dessaix. 133

    Entrevue du maréchal Davout et du général Dessaix. 133

    Quelques détails sur mon séjour à Moscou et sur ce qu'il restait de curieux à voir dans cette capitale. 134

    Le général Dessaix est nommé gouverneur de Berlin. 135

    Notre départ de Moscou et notre retour par Smolensk, Borisof, Minsk, Wilna, etc. 136

    Nous repassons le Niémen, la Vistule et l'Oder. 138

    Notre arrivée à Berlin. 139

    Émeute dont je faillis être victime. 140

    Les Cosaques de Czernitscheff pénètrent jusque dans Berlin et, s'appuyant sur un corps de volontaires organisé dans cette capitale, essayent d'en soulever la population. 143

    Notre départ de Berlin et notre voyage par Potsdam, Wittemberg, Leipzig, Wurtzbourg, le Wurtemberg, Schaffouse et Lausanne. 147

    Je me sépare à Lausanne du général Dessaix qui s'embarque pour Thonon, tandis que je prends, moi-même, un bateau pour Genève. 147

    Mon arrivée à Genève. 148

    Je suis nommé aide de camp du général Curial, que Je rejoins à Mayence, en passant par Paris. 148

    Campagne de 1813. 150

    Les négociations de paix sont rompues. 151

    Reprise des hostilités et marche sur la Silésie. 152

    Notre retour à Dresde et vaine attaque des alliés contre cette capitale. 152

    Bataille de Dresde. 153

    Le général Moreau est tué a côté de l'empereur Alexandre, par un boulet parti de la batterie attachée a la division du général Curial. 153

    La famille royale de Saxe suit l'armée française, sous l'escorte de la division du général Curial. 155

    Batailles de Leipsig les 16, 18 et 19 octobre 1813. 155

    Trois de mes camarades et moi nous faisons prisonnier le feld-maréchal comte de Meerfeldt. 157

    Retraite de Leipsig. 162

    Bataille de Hanau, le 30 octobre. 163

    J'obtiens un congé de quelques Jours, pour les venir passer à Paris, où Je reçois ma nomination au grade de chef de bataillon. 166

    Mon retour à Metz. Je reste attaché dans mon nouveau grade au général Curial, mais avec la solde de simple capitaine. 166

    Campagne de 1814.— L'ennemi passe le Rhin. 167

    Combat de Brienne. 167

    Combat de Champaubert. 169

    Bataille de Montmirail. 169

    Combat de Vauchamps. 170

    Affaires de Nangis et de Montereau. 170

    Combat de Craonne. 171

    Affaire de Laon. 172

    Nous reprenons la ville de Reims. 173

    Manœuvre de l'Empereur vers la Lorraine. 174

    Marche des maréchaux Marmont et Mortier en Champagne. 174

    Bataille de La Fère-Champenoise. 174

    Coupés dans leur retraite sur Paris par l'ennemi, les deux, corps se rejettent sur Provins. 176

    Nous arrivons aux portes de Paris. 177

    Bataille sous Paris et capitulation de cette capitale, 30 mars 1814. 177

    Le général Curial me permet de rester à Paris chez mes parents pour m'y foire soigner. 178

    La division Curial, en retraite sur la route de Fontainebleau, rencontre l'Empereur. 178

    Entrée des alliés dans Paris. 179

    Débarquement de l'Empereur en Provence ; campagne des Cent jours (1815). 181

    Commencement des Hostilités. 186

    Mon entrevue avec le comte de Bubna. 188

    Capitulation de Lyon. 190

    Mon départ pour Genève avec permission du général Curial et sauf-conduit du général Frimont. 192

    Derniers détails sur la suite de ma carrière militaire. 193

    AVANT-PROPOS

    J'ai longtemps hésité, avant de me décider à mettre par écrit les souvenirs que m'a laissés ma carrière militaire. Ces souvenirs ne pouvaient offrir que bien peu d'intérêt pour ce qui me regardait en particulier ; et, quant aux grands événements dont j'avais été témoin, il me paraissait difficile d'en donner une juste idée : un simple officier est rarement à portée de voir d'assez haut ; il peut, tout au plus, raconter ce qui s'est passé sous ses propres yeux et l'ensemble général des opérations lui est presque absolument inconnu ; cette ignorance des événements auxquels on a, cependant, pris une part plus ou moins grande, s'étend même le plus souvent aux officiers supérieurs et aux généraux : le colonel ne sait que ce qui se passe dans son régiment ; le général de division ne connaît guère que les mouvements des troupes sous ses ordres, et ce n'est qu'à l'état-major du général en chef qu'on peut avoir une idée assez complète des opérations de la campagne ; encore, le général en chef, tout en dirigeant l'ensemble, n'a-t-il pas pu tout voir par ses propres yeux et a-t-il été obligé de s'en rapporter, pour beaucoup de faits, plus ou moins importants, aux différentes relations que lui adressent les chefs de corps ; ces relations sont rarement véridiques ; chacun y déguise ses fautes et y exagère ses services. Combien d'éloges et de récompenses peu mérités ont été prodigués sur de pareils rapports, et combien aussi de belles actions n'y ont point trouvé place et sont restées dans l'oubli !

    Je n'aurai donc point la présomption de fournir des matériaux à l'histoire ; mon but est, simplement, d'occuper mes moments de loisir, en me racontant à moi-même mes campagnes, en me rappelant les dangers que j'ai courus, comme un marin rentré au port aime à revoir sur la carte les écueils qu'il a évités. Je suis d'ailleurs certain que mes enfants me liront avec intérêt, et je ne suis pas fâché qu'ils gardent quelque souvenir des services que j'ai pu rendre à mon pays{1}.

    DIX ANS  DE MES SOUVENIRS MILITAIRES

    Mon séjour a l'École militaire de Fontainebleau.

    Je ne saurais trop indiquer les motifs qui me firent embrasser l'état militaire ; cet état paraissait peu me convenir : une taille au-dessous de la moyenne, un assez faible tempérament, une éducation pieuse, des goûts tranquilles semblaient devoir m'en éloigner ; aussi, les personnes qui croyaient le mieux me connaître me prédisaient-elles que je ne serais jamais qu'un triste soldat ; on verra si j'ai su faire mentir cette prédiction. Mon malheureux frère, Marc, que je n'avais jamais quitté, venait, lui-même, d'embrasser cette carrière et je crois que ce fut surtout pour faire comme lui que je pris ce parti ; ce fut bien, au surplus, contre ses avis et ses conseils : car il ne cessait de me faire, dans ses lettres, les récits des dégoûts qu'il éprouvait à l'École militaire.

    J'avais 16 ans quand je fus l'y rejoindre, au commencement de décembre 1805.

    Cette école a fourni des officiers de la plus grande distinction à l'infanterie et à la cavalerie ; ceux du génie et de l'artillerie sortaient de l'École polytechnique, où les études étaient plus fortes. On travaillait fort peu à l'École militaire ; mais on y prenait tout à fait l'esprit du métier. Les élèves envoyés comme officiers dans les corps y furent d'abord assez mal reçus : les colonels n'avaient que de la défiance pour leur jeunesse et leur inexpérience ; de vieux sous-officiers, qui, depuis nombre d'années, attendaient le grade d'officier, ne pouvaient qu'avec beaucoup de peine voir des jeunes gens, qui n'avaient jamais été au feu, venir leur enlever l'avancement auquel leurs anciens et bons services leur donnaient les plus grands droits ; mais bientôt on s'aperçut que ces jeunes gens, pleins d'honneur et de bonne volonté, devenaient d'excellents serviteurs ; bien nés, pour la plupart, ils apportèrent dans les régiments un ton et des manières qui les distinguaient des officiers de la Révolution ; leurs chefs et leurs camarades conçurent pour eux de l'estime, et leurs inférieurs, sentant qu'ils étaient dignes et capables de commander, éprouvèrent moins de peine à leur obéir.

    J'ai déjà dit qu'on travaillait peu à l'école de Fontainebleau ; je ne tardai pas, en effet, à m'apercevoir qu'il ne fallait pas faire de très-grands efforts pour obtenir de nos professeurs des notes satisfaisantes ; aussi, je me trouvai bientôt en bonne position dans tous mes cours. Ce qui me coûta le plus de peine, ce fut l’exercice ; le fusil qu'on m'avait mis entre les mains était plus grand que moi et d'un poids énorme. On me donna pour instructeur un de mes camarades{2}, qui me tourmentait régulièrement deux ou trois heures chaque jour ; la rigueur de la saison contribuait encore à me rendre ces commencements pénibles : nous passâmes l'hiver sans feu et sans capotes ; nous nous levions tous les jours à cinq heures du matin ; notre temps était entièrement rempli ( sauf les heures de récréation et celles des repas) par les études, les exercices militaires, jusqu'à neuf heures du soir, heure à laquelle nous devions être couchés ; chacun de nous avait sa couchette garnie d'un matelas de soldat, d'un traversin et de draps pas trop grossiers, qu'on changeait tous les quinze jours ; nous faisions nous-mêmes nos lits et balayions, à tour de rôle ou par corvée, les chambres, corridors, escaliers et jusqu'aux latrines ; enfin nous étions soumis au même régime que les soldats casernés, mangeant, comme eux, à la gamelle, mais avec cette différence que nous ne faisions pas nous-mêmes notre soupe, allant seulement la chercher toute faite à l'économat, d'où nous apportions le pain dans des sacs, le vin dans des brocs, la viande et les légumes dans de grandes gamelles en fer-blanc ; les pommes de terre, les lentilles et les haricots étaient, avec de la viande de médiocre qualité, notre nourriture habituelle ; le pain de munition était souvent moins bon que celui qu'on donne à la troupe ; jamais la Brie n'a fourni d'aussi mauvais vin que celui que nous buvions ; aussi passai-je plus d'un mois avant de pouvoir m'y accoutumer ; dans la suite, j'y pris tellement goût, que ma ration d'une demi-bouteille par repas ne me suffisait plus et que je troquais contre certaines portions de celle de mes camarades des tablettes de chocolat de Turin, que mon père m'envoyait. Il nous était absolument défendu de faire venir aucun comestible des restaurants du dehors ; aussi étions-nous réduits à user de toutes sortes de stratagèmes, pour ne pas perdre tout à fait le goût des bonnes choses et pour rompre un peu la monotonie de notre triste ordinaire. Il était d'usage que chaque élève, l'un des premiers jours de son entrée à l'École, régalât ses camarades de chambrée{3} ; toute la sévérité du général Bellavène, gouverneur de l'École, n'avait jamais pu détruire cette coutume , au maintien de laquelle il est aisé de croire que les anciens élèves s'intéressaient vivement ; on gagnait, à prix d'argent, les valets ou les ouvriers attachés à l'École, et ce n'était qu'avec des peines infinies et au poids de l'or que nous nous procurions de quoi fournir à nos repas clandestins ; au milieu de la nuit, on se relevait en silence ; on venait, à moitié nus, se ranger autour de la table ronde scellée au milieu de la chambrée et, dans l'obscurité la plus complète, on se partageait religieusement ces mets d'autant plus délicieux qu'ils avaient tout l'attrait du fruit défendu et qu'on avait couru de grands dangers pour se les procurer. Parmi nos gardiens, celui dont nous avions le plus à redouter la surveillance était un portier, vrai cerbère incorruptible ; ce portier faisait souvent d'excellents repas avec ce dont il était parvenu à s'emparer ; pour encourager sa vigilance, le général, ayant ordonné que tout objet de contrebande saisi par lui lui appartiendrait de droit, il comptait là-dessus pour s'aider à nourrir sa famille ; le geôlier de la prison était de meilleure composition : il avait un soin particulier de ses prisonniers, tant qu'ils avaient de l'argent ; il leur faisait faire grande chère, et, quand on voulait se bien régaler, on se faisait mettre en prison.

    Les élèves nouveaux étaient, ordinairement, l'objet de quelques mauvais tours que les anciens se plaisaient à leur jouer, pour éprouver leur caractère ; ces sortes d'épreuves tombaient, le plus souvent, sur ceux dont les manières ou la tournure offraient quelque ridicule, ou, pour me servir du terme usité, quelque chose de godiche ; il paraît que je n'avais pas trop cet air godiche, quand j'arrivai ; car on me fit grâce de ces mauvaises plaisanteries. La manière dont on savait les prendre avait souvent les plus graves conséquences ; j'ai vu de pauvres diables, sur lesquels on s'était acharné, en perdre entièrement la tête, que, d'ailleurs, ils n'avaient probablement pas très-forte, ou bien réduits à déserter, parce qu'ils n'y pouvaient plus tenir ; d'autres s'étaient sottement résignés à être, durant tout leur séjour à l'École, les jouets et la risée des derniers d'entre nous. Quand ils arrivaient comme officiers dans un corps, ils y apportaient avec eux cette déplorable réputation, y retrouvaient quelques-uns de leurs anciens camarades, qui ne manquaient pas de reprendre, à leur égard, leurs anciennes habitudes de moquerie, et ce n'était, ensuite, qu'avec bien de la peine et souvent au péril de leur vie, qu'ils parvenaient à conquérir quelque considération. Pour moi, je le répète, je fus épargné et je n'aurais jamais eu qu'à me louer des bons procédés de tous mes camarades, si, un certain jour, je ne m'étais trouvé, je ne sais à quel propos, grossièrement insulté par un gros lourdaud nommé G***, à qui je me vis dans l'obligation de demander raison, bien qu'il fût deux fois plus grand et plus fort que moi ; mon frère, qui, à la suite d'une maladie, avait obtenu un congé de convalescence, au moment même de mon arrivée, n'était plus là pour me protéger, dans les premiers temps de mon séjour à l'École ; mais un de mes camarades de chambrée, plus âgé et plus ancien que moi, M. Anselme de Barante{4}, prit, dans cette occasion, très-généreusement ma défense ; un conseil fut tenu entre les plus anciens et les plus influents de la chambrée, et il fut décidé que, vu la trop grande disproportion d'âge, de taille et de force, on ne nous permettrait pas de croiser le fer ; de Barante offrit de se battre pour moi ; mais on parvint enfin à arranger l'affaire, qui n'eut pas d'autre suite ; nous ne nous sommes, ce G*** et moi, jamais rencontrés depuis, et je n'ai pas su ce qu'il était devenu. Les duels n'étaient pas rares à l'École militaire, et déjà, alors, plusieurs avaient eu une funeste issue, ce qui avait été cause qu'on nous avait retiré la baïonnette dont, faute d'épée, de sabre ou de pistolet, on se servait dans ces rencontres ; mais on y suppléait au moyen de fleurets démouchetés, et même de bâtons au bout desquels on emmanchait une pointe de compas{5}.

    Nous ne sortions jamais qu'en armes de l'enceinte de l'École ; c'était pour faire des promenades militaires ou pour aller à la manœuvre du canon, au polygone, ou bien encore pour lever, sur le terrain, des plans topographiques ou de fortification ; c'étaient, de tous nos exercices, ceux que nous préférions ; nos promenades étaient, cependant, quelquefois longues et fatigantes, surtout quand nous avions le sac sur le dos ; nous faisions ainsi jusqu'à huit lieues, dans la même journée.

    Au printemps de 1806, cent vingt élèves furent menés à Paris pour y passer la revue de l'Empereur. Il fut si content de leur tenue militaire, de la manière dont plusieurs d'entre eux surent commander les manœuvres, et de la précision avec laquelle elles furent exécutées, qu'il les nomma, sur-le-champ, tous officiers. Mon frère fut du nombre de ces cent vingt élèves ; ce fut pour moi un grand chagrin, quand il fallut nous séparer... ; encore ne savais-je pas que c'était pour ne plus nous revoir... !

    Cette promotion laissa de grands vides à l'École : il fallut remplacer presque tous les sous-officiers et reformer, en grande partie, les compagnies d'élite. Malgré les bonnes notes que j'avais obtenues de mes professeurs, on ne pensa point à moi dans cette circonstance, et je restai simple soldat ; j'en conçus du dépit et, dès lors, je formai le projet de me distinguer de quelque manière, et l'idée me vint de présenter à notre professeur de littérature une composition de ma façon ; je choisis pour texte l'histoire d'Annibal et je parvins à remplir une vingtaine de grandes pages d'observations sur les campagnes de cet illustre Carthaginois ; mon travail fut mis sous les yeux du général Bellavène, qui, à la première revue qu'il passa, me fit les compliments les plus flatteurs et me nomma, sur-le-champ, à la compagnie des chasseurs, compagnie d'élite portant le bonnet à poil. Peu de temps après, eut lieu une promotion au grade de sous-lieutenant ; j'y fus compris, et je ne doute pas que ce ne fût au grand Annibal que j'en eus l'obligation.

    Me voilà arrivé à l'une des époques les plus heureuses de ma vie : ma nomination me combla de joie ; rien ne me semblait plus glorieux que d'être officier, à mon âge : j'avais alors à peine dix-sept ans.

    On nous retint encore, pour diverses raisons, près d'un mois à l'École ; enfin, le 1er novembre 1806, on nous ouvrit les portes de notre prison ; nous crûmes, en la quittant, être désormais libres, entièrement maîtres de nos actions et heureux pour toute la vie...; mais nous ne tardâmes pas à être désabusés : les exigences du service et les souffrances de toute espèce que nous eûmes à subir bientôt après, dans les campagnes de Prusse et de Pologne, nous firent souvent regretter le triste séjour de l'École.

    Départ de Fontainebleau. — Voyage de Paris a Posen, où je rejoins le quartier général impérial.

    Ma commission de sous-lieutenant me désignait pour un emploi de ce grade au 72e régiment d'infanterie de ligne, alors en Hollande ; l'envie de servir à la grande armée et la préférence que je donnais à l'infanterie légère sur celle de ligne me firent entreprendre des démarches auprès du ministre directeur de l'administration de la guerre, qui me désigna provisoirement pour le 9e léger, avec ordre de me tenir prêt à partir avec un détachement d'officiers, produit d'une nouvelle promotion opérée, tant à l'Ecole polytechnique, qu'à celle de Fontainebleau et auxquels on devait joindre cinquante sous-officiers tirés du lycée de Saint-Cyr. Huit jours s'étaient à peine écoulés dans les soins de mon équipement, que l'ordre du départ me fut signifié.

    A cette époque, la bataille d'Iéna avait déjà mis en notre possession la plus grande partie du royaume de Prusse ; nous ne craignions rien tant que d'arriver à l'armée après la paix faite, et cette idée nous était très pénible, tant était grande notre impatience de trouver l'occasion de nous signaler ; aussi, apprîmes-nous avec joie que nous serions conduits en poste, jusqu'au quartier général impérial. Nous sortîmes de Paris dans des fiacres, rassemblés par les soins de M. le préfet de la Seine et, déjà, nous nous abandonnions volontiers à l'idée que nous allions ainsi voyager on ne peut plus commodément jusqu'aux avant-postes, lorsqu'au premier relai, nous fûmes désagréablement détrompés à la vue d'un certain nombre de chariots à échelles, garnis de quelques bottes de paille, nouveaux équipages, qui n'avaient pas le défaut d'être trop mollement suspendus, et dans lesquels on nous engagea à monter lestement et à nous arranger, de notre mieux, avec nos portemanteaux ; nous y étions entassés les uns sur les autres, jusqu'à douze par chariot. Nous courûmes ainsi le train de poste, trouvant à chaque relais, de semblables véhicules préparés sur notre passage et faisant environ 25 lieues par jour. Nous passâmes le Rhin à Mayence, après avoir traversé maintes grandes villes, que la célérité de notre marche ne nous avait guère permis que d'entrevoir ; notre manière de voyager était, d'ailleurs, si fatigante que, chaque soir, nous étions plus pressés de nous reposer, que d'aller visiter les curiosités des endroits où nous devions passer la nuit.

    Nous gagnâmes successivement les villes de Francfort, Hanau, Fulde, Eisnach. Dans cette dernière, nous fûmes tous ensemble logés dans un très-vaste palais, où l'autorité municipale fit dresser, dans de longues galeries, des tables assez bien fournies, autour desquelles nous nous serions sentis capables d'oublier les fatigues du voyage, n'eût été l'idée qu'il fallait se remettre en route le lendemain.

    D'Eisnach nous vînmes à Erfurt et, bientôt, on nous montra les plaines d'Iéna devenues, depuis peu de jours seulement, à jamais célèbres. Ce pays nous offrait, à chaque pas, les traces que laisse après lui le terrible fléau de la guerre.

    Les longues lignes des bivouacs que l'armée avait occupés étaient encore marquées par des restes d'abris, des feux éteints et les litières des chevaux engraissant des champs sans culture ; toutes les maisons, à l'entour, étaient abandonnées de leurs habitants et à moitié brûlées ou démolies ; nous vîmes plusieurs monticules, dont la terre fraîchement remuée indiquait assez que c'était là que reposaient les braves qui avaient succombé dans cette dernière et sanglante bataille ; quelque grands que fussent notre enthousiasme et notre amour pour la gloire, nous ne nous sentîmes pas la moindre disposition à envier leur sort ; toutefois, le spectacle qui s'offrait à nos regards ne fit pas, non plus, naître dans nos cœurs de lâches pensées ; l'espoir de rejoindre bientôt l'armée, dont nous trouvions déjà les traces, nous donna, au contraire, de nouvelles forces et une nouvelle ardeur pour continuer notre marche.

    A Leipsig, nous apprîmes que l'Empereur voulait, malgré l'approche de la mauvaise saison, poursuivre ses succès jusqu'au sein de la Pologne ; on regardait cette entreprise comme téméraire ; beaucoup de gens conservèrent cette opinion, même jusqu'après la bataille d'Èylau, où la victoire fut si chèrement achetée et si stérile en résultats, et il ne fallut rien moins que celle de Friedland, qui ne fut remportée que huit mois plus tard, pour les rassurer sur les faits d'une si hardie entreprise.

    Nous passâmes l'Elbe à Vittemberg ; de là, nous nous dirigeâmes sur Potsdam ; le jour où nous devions aller coucher dans cette ville, les moyens de transport nous manquèrent, ce qui nous arrivait souvent, depuis que nous voyagions en Allemagne ; nous avions plus de 12 lieues à faire ; je marchai, avec courage, toute la' journée, à la tête du détachement ; mais, vers le soir, je sentis que mon pas se ralentissait ; tous mes camarades me devancèrent successivement ; enfin, je me vis le dernier ; la fatigue m'accablant de plus en plus, je les perdis bientôt de vue ; la nuit survint ; une épaisse forêt, que nous traversions, la rendait encore plus obscure ; la ville était encore fort éloignée et aucune habitation ne s'offrait à moi ; j'avais faim, et c'était surtout de là que provenait ma faiblesse ; l'idée de passer sans nourriture, sans feu et sans abri, cette longue nuit, seul, au milieu d'une forêt inconnue et d'un pays ennemi et, bien plus encore, la crainte de ne pouvoir, peut-être, de longtemps, rejoindre le détachement dont je faisais partie, étaient bien faites pour m'effrayer ; je ne me laissai cependant pas décourager, et après bien des efforts, j'arrivai enfin, à Potsdam, au milieu de la nuit et dans le plus misérable état qu'on puisse imaginer. J'eus le bonheur de rencontrer un de mes camarades, avec lequel je logeais ordinairement, et qui, inquiet de ne pas me voir arriver, était venu au-devant, moi ; il me porta, plutôt qu'il ne me conduisit, jusqu'à notre logement, où je n'eus pas même la force de me mettre à table ; on me coucha et on me donna à manger ; bientôt je m'endormis profondément et le lendemain, je me ressentais à peine des fatigues de la veille.

    Nous obtînmes, dans cette ville, des charrettes, sur lesquelles nous fîmes, le même jour, de bonne heure, notre entrée à Berlin.

    Je ne dirai rien, à présent, de cette capitale, si ce n'est que nous fûmes frappés de sa beauté, de sa grandeur, en même temps que de son peu de population et du peu d'apparences de luxe et de richesse qu'on y remarquait ; le désastre d'Iéna, qui avait causé la fuite de la Cour et de tout ce qui y tenait, en accumulant sur le royaume de Prusse tout entier tant de misères ne pouvait, en effet, que rendre cette superbe ville triste et déserte ; en général, les Français n'ont pu que très-mal juger les pays au milieu desquels ils venaient apporter la ruine et la désolation.

    J'appris à mon arrivée que le 9e léger, dont je devais faire partie et dont je portais déjà l'uniforme, venait, le jour même, loger dans Berlin, au retour de l'expédition de Lubeck, où le général Blücher avait été fait prisonnier, à la tête de trente mille hommes. Je m'empressai, le lendemain matin, de rendre visite au colonel Meunier, qui commandait ce régiment : je me présentai chez lui au moment où il donnait l’ordre du jour à tous les sergents-majors réunis ; il fut probablement bien aise de leur montrer combien il était peiné de ce qu'on donnait, à leur détriment, des places d'officier aux élèves des écoles et il me reçut, en conséquence, assez mal, se bornant à me dire qu'il n'avait eu du ministre aucun avis que je dusse faire partie de son corps ; je lui demandai la permission de le suivre, en attendant que ma nomination lui parvînt, ce qui ne devait assurément pas tarder ; à quoi il répondit fort sèchement : que son régiment se mettait en route dès le lendemain à huit heures du matin, et que j'étais bien libre de le suivre, si cela me plaisait ; sur cela, il me tourna le dos et congédia les sergents-majors, sur la figure desquels je ne pus m'empêcher de remarquer la satisfaction que leur causait l'accueil que je venais de recevoir ; j'en restai tout interdit et déconcerté ; j'avais, en me retirant, le désespoir dans le cœur ; je craignais, en effet, que la manière dont je devais, par la suite, être traité dans le corps, ne dépendît fatalement de ce triste début ; je me figurais ce colonel comme un homme intraitable, qui, bien loin de me protéger, me livrerait tout entier aux mauvaises dispositions dans lesquelles serait tout le régiment à mon égard ; j'avais bien de la peine à me consoler par l'idée que la petitesse de ma taille, mon menton sans barbe, enfin, mon peu de prestance militaire, n'avaient pas dû prévenir en ma faveur et avaient bien pu être, seuls, la cause de la réception qu'on venait de me faire. Je résolus, toutefois, de faire, avant la fin du jour, une seconde visite à ce colonel si terrible, afin de tâcher de le faire revenir des préventions défavorables qu'il paraissait avoir conçues à mon sujet. Quel ne fut pas mon étonnement, en me représentant chez lui, lorsque je le vis venir à moi, de la façon la plus polie, m'assurant qu'il serait charmé de me compter au nombre de ses officiers et qu'il allait, lui-même, me demander au ministre avec instance. Il m'engagea, toutefois, à suivre le détachement dont je faisais partie, jusqu'au quartier général, d'où je pourrais aisément rejoindre son régiment, en quelque lieu qu'il se trouvât. Je sortis donc aussi satisfait de cette dernière réception que je l'avais été peu de la première, et ayant peine à m'expliquer ce qui avait pu causer en si peu de temps, dans l'esprit de ce colonel, un si grand changement à mon égard ; mais je sus, peu après, que, dans l'intervalle de mes deux visites, le chef de notre détachement, le capitaine Petit, lui avait dit du bien de moi et m'avait représenté comme un officier dont il serait content.

    Nous quittâmes Berlin, après un très-court séjour et prîmes la route de Küstrin ; cette place, quoique très-forte, s'était rendue sans résistance peu de temps auparavant. Ce ne fut que le deuxième jour que nous y arrivâmes, après une marche, ce jour-là, de douze grandes lieues ; cette marche fut si pénible que je n'en ai pu oublier les circonstances : le bourg dans lequel nous avions passé la nuit était tellement épuisé par les nombreux passages de troupes, que nous eûmes beaucoup de peine à nous y procurer des subsistances, et la plupart d'entre nous étaient à jeun, lorsqu'à 7 heures du matin, il fallut se mettre en route à pied, nos chefs n'ayant pu obtenir qu'une seule voiture, à peine suffisante pour transporter nos portemanteaux. A la sortie du bourg, nous rencontrâmes deux femmes qui portaient des corbeilles de pommes ; nous leur épargnâmes la peine d'aller les vendre au marché et leur en procurâmes un prompt débit ; les pauvres femmes, du reste, n'eurent pas lieu d'être mécontentes de nous ; car, bien loin de leur prendre leurs pommes pour rien, comme de récents et tristes exemples le leur faisaient peut-être craindre, nous les payâmes généreusement. C'était là la seule nourriture qui nous fût réservée pour toute cette journée ; nous ne trouvâmes, en effet, sur notre route, que des villages déserts et entièrement ravagés ; à notre approche, le son d'une cloche se faisait entendre et, à ce signal, si quelque habitant était venu visiter sa maison dévastée, il se hâtait de rentrer dans les bois, pour n'en ressortir qu'après notre passage. Les chemins étaient affreux, la nature marécageuse du terrain, la saison pluvieuse et les nombreux convois de l'artillerie et des bagages de l'armée les avaient rendus absolument impraticables ; nous n'avancions que bien lentement et ne nous tirions des boues qu'avec d'incroyables efforts ; plusieurs soldats de la garde impériale y avaient péri, peu de jours auparavant ; on racontait qu'épuisés de forces et de courage quelques uns s'étaient eux-mêmes donné la mort.

    Plusieurs fois dans la journée, je m'étais arrêté, soit pour me reposer, soit pour chercher quelque nourriture dans les maisons abandonnées que nous avions trouvées sur notre chemin ; vers le soir, me voyant un peu en arrière du détachement et craignant de m'égarer si je me laissais surprendre par la nuit, je rassemblai toutes mes forces pour rejoindre mes camarades et j'y réussis, heureusement, avant qu'il fit tout à fait sombre. Mais il s'éleva tout à coup un vent des plus violents qui nous fouettait la figure d'une pluie mêlée de grêle ; l'obscurité devint si profonde que notre guide, lui-même, avait bien de la peine à reconnaître le chemin ; il menait par la bride le cheval de notre capitaine ; le premier qui venait après, tenait la queue du cheval et nous nous tenions tous ensuite par le pan de l'habit ; à chaque pas, nous tombions les uns après les autres dans de profondes ornières ou des fossés pleins d'eau. Nous avions aperçu, à une très-grande distance, des feux qui nous indiquaient la ville ; nous les avions crus tout proches ; mais, à mesure que nous avancions, ils semblaient s'éloigner davantage. Rien n'est plus décourageant que ces fâcheuses illusions, quand on a besoin d'arriver ; combien de fois, depuis, n'en ai-je pas fait la triste épreuve ! Nous marchâmes ainsi jusqu'à onze heures du soir, heure à laquelle nous arrivâmes enfin à Küstrin, dans le plus pitoyable état, accablés de faim et de fatigue, mouillés jusqu'aux os, et beaucoup d'entre nous ayant perdu leurs chaussures dans la boue ; nos billets de logement n'étaient pas prêts ; il fallut les attendre plus d'une heure ; durant ce temps, j'étais entré dans un cabaret où buvaient des grenadiers de la garde impériale ; j'avais peine à me soutenir ; je demandai du vin ; on me présenta une bouteille ; je la portai à mes lèvres

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