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Sydney-en-Chablais: Aventure savoyarde d’une famille australienne
Sydney-en-Chablais: Aventure savoyarde d’une famille australienne
Sydney-en-Chablais: Aventure savoyarde d’une famille australienne
Ebook364 pages5 hours

Sydney-en-Chablais: Aventure savoyarde d’une famille australienne

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About this ebook

En 1978 la famille Steggall − John, Susan, fils Zeke sept ans, fille Zali quatre ans − quitta son pays natal, Australie, pour vivre dans les Alpes françaises. Ce fut le début d’un rapport d’une réussite extraordinaire avec les sports d’hiver.
Nous sommes partis ni pour le travail, ni pour les études, mais tout simplement par le goût d’aventure. John et moi grandîmes tout près les plages chaudes et du surf scintillant de l’Océan Pacifique. Alors pour nous, la neige poudreuse sur les pentes raides et les sommets de rocher et de glace ont toujours représentés un paradis plus exotique que les îles tropicales.
Nous passâmes dix ans en Haute-Savoie, le passage des saisons marquées par le progrès des enfants à l’école et au ski.
Sydney-en-Chablais : aventure savoyarde d’une famille australienne est à la fois autobiographique et biographique. Après tout, nous étions quatre, par moi seule, et ce livre, traduit de l'anglais par l'auteur, est le récit de nos vies.

LanguageEnglish
Release dateApr 3, 2016
ISBN9780958196437
Sydney-en-Chablais: Aventure savoyarde d’une famille australienne
Author

Susan Steggall

http://steggalls.com

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    Book preview

    Sydney-en-Chablais - Susan Steggall

    Prologue

    Le vingt-quatre décembre nous arrivons en Europe pour passer Noël avec nos enfants. C’est la première fois depuis des années que nous serons tous ensemble pour cette fête. Quand nous débarquons à l’aéroport de Genève, les flocons de neige volettent et tourbillonnent autour de mon visage avant de se poser sur la piste trempée devant l’entrée de l’aérogare. Je tourne mes yeux vers Genève, mais je ressens plus que je ne vois l’étendue de la ville dominée par le Salève. La grisaille glaciale est rendue plus palpable par un souvenir de la lumière éclatante et des vives couleurs d’un été australien quitté seulement il y a un jour.

    La réunion avec notre fils, notre fille et leurs copains est aussi chaleureuse que souhaitée et dans une ambiance de fête nous quittons la Suisse, direction la France, et un supermarché près de Thonon-les-Bains où nous allons acheter tout ce qu’il faut pour le festin de Noël. Une heure plus tard nous sortons, le chariot débordé, et fourrons les sacs plastiques pleins à craquer dans la voiture. Il neige très fort. Thonon et le Lac Léman sont enveloppés dans un manteau féerique de plus en plus épais et bien que l’heure ne soit pas très avancée, la lumière de décembre s'en va déjà. À mesure que nous prenons de l’altitude, la neige tombe de plus en plus fort et les villages sur les flancs de la montagne disparaissent derrière les cascades blanches. À Saint-Jean d’Aulps (le village avant le nôtre), les tas de neige au bord de la route sont déjà très hauts et les gens pellettent vigoureusement pour dégager chemins et trottoirs. Dans la place de Montriond, il est presque impossible de garer la voiture entre les buttes formées pas les « chasse-neige ».

    Valises et sacs sont tous montés à la maison et la voiture est bien fermée contre la tempête. Je m'arrête un moment à l’abri de l’église et tourne mes yeux vers la vieille maison qui fut notre foyer pendant dix ans. J’éprouve un sentiment presque écrasant d’être chez moi, d’être réuni avec quelque chose qui m’est très cher. Mes pieds montent les marches enneigées et mes pensées remontent le temps jusqu’en 1978 et le début de notre aventure.

    Maintenant, me dis-je, maintenant je veux – je peux ! – écrire notre histoire, refaire notre chemin et revisiter les saisons de notre vie.

    1

    En route

    L

    a décision de partir est fait accompli. Je me détourne des traîtres récifs d’émotion et de doute et avance vers le paysage prosaïque de départ. Une fois mise en marche, la suite des événements devient inéluctable. Je quitte mon poste de pharmacologiste, organise les passeports pour tout le monde et fais des listes. Nous louerons notre maison et le loyer fournira une rente indispensable à notre budget. Les meubles restent sur place mais il faut ranger les choses fragiles et personnelles dans un petit local au fond de la maison. Nos deux enfants – Zeke, sept ans et Zali, quatre ans – posent avec fierté (et un peu d'inquiétude) pour une photo devant notre voiture. Je me rends compte que nous n’avons pas vraiment demandé leur avis sur notre projet. Peut-être nous, les parents, tenons pour certaine la foi de nos enfants de veiller sur eux. Est-ce quelquefois, une responsabilité assumée trop légèrement ?

    Trouve des cartons, vérifie la maison pièce par pièce. Qu’est-ce que je fais avec tous les jouets, les vélos, la maison de poupée ? Remplis les cartons. Trouve encore des cartons – et plus grands ! Règle les factures impayées, annule la livraison du quotidien, téléphone à tout le monde pour dire au ‘voir. Encore les cartons ! Encore les listes ! Essaie de penser à toutes éventualités. Organise quelque chose pour le chat… Mon dieu, notre vieux chat !

    Je remplis une malle avec les vêtements et l’équipement d’hiver, à envoyer par bateau à Paris. Qu’est-ce qu’il faut emporter avec nous ? Et des livres en anglais pour les enfants ? Quels vêtements ? Combien de chemises, de sous-pulls ? Ont-ils besoin de manteaux ? Il faut trouver les réponses moi-même. Mon mari, John, est très occupé avec la vente de son cabinet de notaire. Calme-toi, Susan, ne panique pas !

    Enfin le jour arrive. Je vide le frigo et donne la garde du chat à ma voisine. Je me dépêche d’aller une dernière fois au magasin pour acheter une valise encore plus grande. C'est une farce digne du théâtre quand je trouve encore un placard plein de choses. Ma mère arrive de bonne heure pour m’aider avec les derniers coups de téléphone et, à mon grand soulagement, s’occuper de Zali, qui s’impatiente de plus en plus.

    Elle (la fillette, pas la grand-mère) campait à la porte d’entrée depuis six heures du matin, serrant son sac à dos très fort contre son petit corps, refusant de bouger et admonestant tous les passants que c’est l’heure de partir – maintenant ! Qu'est-ce que vous faites, les autres ? On y va ! Zeke est plus circonspect. Il a beaucoup de souvenirs dans cette maison - des fêtes de Noël, des anniversaires. Il connaît à fond l’espace de sa chambre et il a des copains à l’école. Bien que pris dans l’excitation générale (« hystérie serait meilleur mot) il est plus réservé dans son enthousiasme et serre son précieux nounours dans ses bras.

    Nos soeurs et leurs enfants arrivent. Je m’assois une dernière fois sur les valises pour les fermer et je jette les papiers et passeports dans mon grand sac en cuir marron. Tout d’un coup, je me rends compte… Ça y est ! La maison n’est plus la nôtre, nous sommes déjà étrangers, irrévocablement prêts à partir.

    Nous partons en convoi pour la banlieue de Mascot où les derniers doutes de l’imprudence de notre projet sont bannis, noyés dans le très public et bruyant remue-ménage de l’aéroport de Sydney. Les parents de John sont déjà là. Ils sont plus vieux que ma mère, mal à l’aise dans cet environnement si impersonnel et visiblement malheureux à cause du départ imminent de deux de leurs huit petits-enfants.

    Le grand-père cache sa détresse derrière une réserve fanfaronne. Mémé est moins inhibée et pleure franchement. Cependant, les grand-mères sont d’une autre trempe, toutes les deux masquant leur tristesse intime dans des manifestations publiques de largesse – jouets, livres et crayons – et des grandes embrassades enveloppantes.

    Nos valises passent sans incident, sans susciter des frais d’excès. On a juste le temps de boire un pot d’adieu mais avec tant de monde entassé au bar de l’aéroport, l’occasion est difficile : tellement de bruit, tellement à dire mais tout d’un coup, plus de mots. Zali recommence ses exhortations de s’en aller – tout de suite ! Zeke se met près de ses deux grand-mères.

    - Ça va mon vieux ? je lui demande.

    - Oui, maman, la brève réponse.

    Le haut-parleur annonce notre piste d’embarquement. Il est temps de rassembler les enfants et embrasser tout le monde une dernière fois. Avec un dernier salut et des promesses d’écrire bientôt, nous sommes propulsés sans cérémonie vers les services de douane comme si on avait été transporté dans une machine à remonter le temps. Finalement, nous sommes seuls et « famille » veut dire que nous quatre. On ne peut plus faire demi-tour.

    - Allez les enfants, crie John, montons à bord.

    Installe-toi, range les sacs et les manteaux dans les casiers au-dessus. Garde le sac marron (plein de jeux, de livres et du Vegemite¹) sous mes pieds. Attache ta ceinture, attends le décollage. Ouf ! Un whisky-and-soda n’a jamais été aussi apprécié ! Maintenant je me détends et pense avec plaisir à l’aventure devant nous. John et moi nous regardons vraiment pour la première fois depuis des semaines…Ça y est ! c’est fait ! nous sommes partis !

    Une année d’aventure en Europe en 1975 fut un voyage de découverte. Le but était d'arriver, mais où ? Suis la carte… trois jours à X, un mois chez Y – quel chemin est le meilleur ? Route directe ou itinéraire touristique ? Mais surtout ne perdre pas de temps ! Nous étions nomades, toujours en transit mais avec nos billets de retour. Cette fois-ci, nous voulons laisser la porte ouverte… deux ou trois ans, qui sait ?

    Je commence à me poser des questions sur notre témérité et notre enthousiasme inconscient d’avoir enlevé nos enfants de leur monde familier. Et pourquoi cette fascination avec les montagnes et la neige ? Peut-être parce qu’elles sont si étranges à nos vies passées dans les vallées côtières près des plages blanches et les vagues vertes de l’océan Pacifique. Pour nous, « le sport » a toujours voulu dire la natation et les jeux de ballon quelconques. Je n’ai appris à skier qu’à l’âge adulte mais j’ai toujours été attirée par les images romantiques d’aventure alpine. Pour moi, la neige, la glace et les pics rocheux représentent « la une » d’exotisme.

    Croisière…

    Nous allons d’abord à Francfort, puis Stuttgart et Sindelfingen où nous passons prendre une voiture commandée d’avance depuis l’Australie. Ce n’est pas la peine de mettre les enfants en habits du dimanche. Il n’y aura pas de comité d’accueil. Il n’y aura personne.

    - Eh, Papa, regarde toutes ces belles voitures ! s’exclame Zeke devant les portes imposantes de l’usine Mercedes-Benz, terre sainte de l’ingénierie d’élite.

    Le pourparler pour prendre possession commence dans une grande salle d’accueil mais je n’ai pas le temps d’apprécier toute sa splendeur. Je suis trop occupée de faire descendre Zeke d’une étincelante voiture ancienne et d’empêcher ma fille de toucher tout ce qu’elle voit autour d’elle pendant que John s’occupe des papiers. Enfin nous nous libérons. John sort la voiture du parking et roule avec prudence en direction de la Suisse. Notre nouvelle voiture est magnifique – d’un beau brun foncé métallisé avec l’intérieur en cuir écru, la dernière mode en automobile.

    - Elle va vraiment vite, Papa ? nous vient avec insistance de la banquette arrière.

    - Bien sûr, elle va vite !

    Nous partageons l’euphorie d’être dans cette puissante et luxueuse voiture sur les autoroutes allemandes pour lesquelles elle a été conçue.

    Le jour s’engouffre, les kilomètres sont avalés aussi vite que notre repas al fresco. Notre destination est la Haute-Savoie et le village des Gets (où, il y a trois ans, nous avons passé quelques mois) pour trouver un logement pour l’hiver à venir. C’est la fin de septembre. La plupart des restaurants et des hôtels sont déjà fermés mais enfin nous trouvons une chambre pour la nuit. J’achète du pain (pour des tartines à Vegemite) mais les enfants s’endorment tout de suite. Nous aussi nous endormons… jusqu’à ce que les deux petits corps qui marchent encore à l’heure de Sydney, s’éveillent au milieu de la nuit pour réclamer leurs sandwiches.

    Le lendemain il fait beau soleil. Nous passons à côté de Montreux et approchons la rive sud du Lac Léman. Au-dessus des pré-Alpes verdoyantes et des rochers escarpés, le Mont-Blanc se dresse majestueusement. Les montagnes ! Je me sens chez moi ici. Je voudrais vraiment appartenir à ce pays, me dis-je, traçant les noms sur la carte. Au bout du lac il y a un vieux pont et son inévitable Hôtel du Pont. Nous nous arrêtons pour boire un coup sur la terrasse. Le soleil tachette les pavés à travers les feuilles de fin d’été, les accents suisses et savoyards aux intonations mélodieuses flottent légèrement dans la brise et il y a une fraîcheur ravigotante dans l’air. À cet instant nous nous estimons parmi les plus fortunés de la terre.

    Une fois passée la frontière Franco-Suisse à St-Gingolph nous entrons dans un territoire relativement familier. Je range la carte et laisse derrière moi l’inquiétude de ne pas savoir où j’en suis. Nous laissons passer Evian et prenons la Route de Thonon qui mène vers les montagnes. Quatre kilomètres à faire et la route s’ouvre sur une vallée large et ensoleillée. Des fermes et des hameaux parsèment les deux côtés, les vaches broutent dans les pâturages. Au lointain, plusieurs randonneurs et un cycliste solitaire sont les seuls signes de présence humaine. La population de la région multiplie peut-être de dix ou vingt fois en hiver mais aujourd’hui, un jour paisible en automne, le paysage est presque désert.

    Les enfants ne se souviennent pas de notre premier séjour ici mais ils ont vu les photos et entendu nos histoires si souvent qu’ils partagent notre anticipation. Ils mettent leurs nez tout près des vitres de la voiture et essayent de voir tout ce dont John et moi, nous nous souvenons. Situé au fond d’un large col alpin, les Gets est une vieille collectivité rurale devenue station de ski moderne et la plupart des maisons et des hôtels sont d’origine relativement récente, de styles architecturaux adaptés des meilleurs et des pires que l’Ouest a pu offrir. L’église et sa cure en pierre sont, sans surprise, les bâtiments les plus vieux. La forte possibilité d’incendie fait que les fermes en bois risquent de devenir une espèce en voie de disparition.

    Nous trouvons une demi-pension pour la nuit au seul hôtel qui reste encore ouvert dans cette arrière-saison. Nous nous rendons ensuite à l’autre bout du village pour visiter nos anciens propriétaires. Nous attendions avec impatience le plaisir de les revoir mais maintenant que le moment arrive, j’hésite. Peut-être, ne se souviennent-ils pas de nous comme nous, nous souvenons d’eux ? La chaleur de leur accueil chasse le moindre doute ; ils sont ravis de nous revoir.

    - Un appartement ? Bien sûr, M’sieur-Dame !

    Le Clos savoyard sera, une fois encore, notre foyer pour l’hiver.

    Il ne nous reste qu’à inscrire les enfants à l’école. John frappe à la porte d’un grand bâtiment gris au fond de la place et la voila, Madame-la-directrice, habillée d’un peignoir rose et en pantoufles. Mon français n’est pas à la hauteur ! Mais je souris quand même pendant que John fait sa demande. Elle sera ravie d’avoir les enfants à l’école.

    - Et quand ? Oh, pas avant décembre ? Tant pis !

    Nous espérions être acceptés mais pas si vite ni avec un tel enthousiasme. Plus tard nous apprenons que c’est une question de chiffres… les petites écoles campagnardes luttent pour garder l’effectif réglementaire.

    Le lendemain matin, avant d’entamer la longue route vers Paris, nous sortons gravir la piste de ski qui monte derrière l’hôtel, sous les pylônes de la télécabine. Le chemin passe devant les fermes inhabitées et traverse la forêt – d’abord des arbres de hautes tailles, puis de plus en plus petit. Enfin, nous marchons dans la robuste végétation alpine au sommet de Mont-Chèry. Là-haut, nous reprenons notre souffle et nous retournons pour admirer le panorama. Le village n’est plus qu’un agglomérat de points noirs loin en dessous. Les flancs de la vallée, couverts de forêt vert foncé, sont interrompus çà et là par des rubans sinueux transformés en herbe pour les skieurs. Plus haut, en face, il y a les télésièges et les remonte-pentes des Chavannes et du Ranfolly. Au-delà, si lointain, bleu glacier et miroitant, le sommet boule-de-glace du Mont-Blanc se dresse derrière son avant-garde escarpée.

    John prend les enfants en photo : deux petits blonds, avec de grands sourires, les jambes plantées fermement sur la pente, les bras croisés comme des adultes. Ils sont encadrés par l’herbe longue et dorée et la diagonale noire d’un câble de la remontée coupant en deux le ciel bleu pâle.

    - C’est sûrement ici le paradis et les gens ont raison de ne pas partir, dit John.

    - Oui, réponds-je, et nous avons raison d’y revenir.

    On s’installe…

    Nous quittons les Alpes, contournons Genève, saluons brièvement le Jura et rejoignons l’autoroute près de Macon. Tout le long de notre route vers le nord, les jardins, comme les hôtels et les restaurants, ont un aspect abandonné. L’air au-dessus des vergers et des champs de blé est teinté d’une fumée bleuâtre de chaume encore fumant. Nous nous arrêtons très tard dans l’après-midi et repartons très tôt le lendemain matin – voyageurs pas touristes.

    À Paris nous sommes confrontés par l’impossibilité de trouver un appartement avec un loyer raisonnable et un bail assez court (deux mois et demi). Le mieux qui nous est offert est très petit, loin au-dessus des rues de la ville, aussi grand qu’une cage à lapin et pour un loyer astronomique. Nous décidons de louer une grande caravane et la faisons remorquer au Camping Bois de Boulogne. Les frais du camping sont abordables et la caravane est confortable avec du chauffage, un four et un frigo. Le terrain du camping est grand et le weekend, il y aura les parcs et les jardins du Bois à explorer.

    Une fois la question du domicile décidée, il faut nous inscrire à l’Alliance française et, si tout va bien, les enfants dans une école au même quartier. Avant de quitter l’Australie, nous avions renforcé notre français appris au lycée avec des cours du soir et inscrit les enfants à la maternelle de l’Alliance française à Sydney. Ainsi préparés mais pas du tout sûrs de ce qui nous attend, nous nous mettons en route très tôt le matin pour le boulevard Raspail.

    C’est le jour d'inscription pour le mois d’octobre et nous nous trouvons au milieu d’une scène chaotique alors que beaucoup d’autres comme nous, essaient de trouver le Comment, Quand et Où des plans du travail. Le Pourquoi au moins, tout le monde sait car le but en commun est de maîtriser la langue française. La langue anglaise ne détient aucun avantage dans cette tour de Babel et j’entends crier toutes les langues du monde dans ces couloirs et escaliers mal éclairés et mal parés contre le feu. Par contre, les procédures d’inscription sont assez simples, pas de qualifications nécessaires. Les classes sont organisées par tranches de deux heures par jour, un mois à la fois, avec un petit examen à la fin. On peut progresser aussi rapidement ou aussi lentement que souhaité. Payez, remplissez la première feuille d’examen. Mauvaise note ? OK, commencez dans la classe des débutants. Réussi ? Allez à la prochaine étape de difficulté. Répétez ad libitum jusqu’au seuil de la compétence.

    John et moi trouvons notre programme (facile), repérons les salles de cours (pas si facile) et demandons le chemin au bureau municipal le plus proche pour se renseigner pour les enfants. Le fonctionnaire est très accueillant à la Mairie du sixième. Il note « l’Alliance française, boulevard Raspail » comme adresse résidentielle sur notre dossier pour que les enfants puissent aller à l’école dans le même arrondissement. Ensuite, il nous demande si monsieur et madame veulent que leurs enfants commencent cet après-midi ou demain matin. Très étonnés par l’inattendu bon fonctionnement de la bureaucratie gauloise nous répondons :

    - Merci, demain serait perfect !

    Ensuite, il faut trouver une grande surface et acheter du matériel essentiel pour la caravane et quelques bricoles pour l’école. Je me souviens de « Manly West Infants School » et de « Waratah Street Kindergarten » et je souhaite qu’il y ait plus de similarités que de différences avec la maternelle et l’école primaire de la rue de Vaugirard.

    À notre insu, nous sommes arrivés à Paris au milieu des soldes d’automne et la foule dans les grandes surfaces nous engloutit. Nous aiguisons nos dons de survie avec une seule alerte de fille perdue et échappons aussi vite que possible pour nous rendre au camping qui deviendra notre foyer pour quelques mois. La saison d’été baisse et le camping a l’air désert. Les âmes hardies d’Australasie se dirigent au nord vers la Scandinavie, les hédonistes vers le sud et l’Afrique pour l’hiver. Les seuls habitants à long terme sont les gitans. Ils ont un aspect débraillé et négligé, mais fascinant, avec des tribus d’enfants, des accents mal connus, des caravanes énormes et les voitures tape-à-l’oeil. De notre point de vue anglo-saxon ils apparaissent étranges. Les femmes ne semblent avoir aucun droit et même moins de confort. Ils font bande à part et ne nous prêtent aucune attention… probablement ils méprisent nos coutumes. On maintient l’entente cordiale par des brèves inclinaisons de la tête au supermarché du camping.

    La caravane a beaucoup servi, mais elle est spacieuse et bien équipée, avec des lits superposés, « à moi, le plus haut ! », une table qui se déplie pour devenir un lit à deux, une garde-robe, plusieurs étagères et un poêle à mazout pour chauffer. Le fait que nous n’avons aucune idée de ce que veut dire « mazout » – et encore moins où nous pouvons l’acheter – ne nous gêne pas du tout. Il n’y a rien qui puisse perturber ce moment spécial dans l’air doux d’une soirée chaude en automne.

    Les enfants s’endorment avant d’avoir fini de manger, John et moi fêtons l’occasion avec une bonne bouteille de vin mais nous sommes trop fatigués pour veiller tard. Demain, il faut nous lever de bonne heure pour emmener les enfants à l’école.

    Première journée…

    Au métro nous achetons les forfaits mensuels comme tout le monde et, prenant chacun des enfants par la main, marchons vers la rame qui mène à l’Odéon. Le train est bondé de banlieusards et les enfants regardent autour d'eux, les yeux grands ouverts, fascinés par le mélange de races et de religions. Cela doit sembler intimidant mais, rassurés par notre confiance évidente, ils le confrontent avec l’équanimité. Il n’y a que cinq minutes de marche du métro à l’école et nous sommes vite à la porte d’entrée, disant « good luck, au’voir, soyez sage, à midi ». (Un pique-nique est prévu aux Jardins du Luxembourg tout près.)

    Pendant un instant, ils hésitent et se serrent contre nous. Il y a un soupçon de larmes mais ils sont aussitôt pris en main par la maîtresse du jour. La lourde porte se ferme contre le monde extérieur et on se trouve sur le trottoir, ne sachant pas ce qu’il faut faire. Nos propres classes ne commencent que la semaine prochaine, donc on décide de passer la matinée à explorer le quartier autour des boulevards Saint-Germain et Saint-Michel.

    Nous sommes en avance à la porte de l’école pour attendre parmi un groupe de parents qui attendent leurs enfants aussi. À onze heures trente exacte, les portes s’ouvrent et une vague d'énergie jeune et bruyante s’écoule sur le trottoir, nos enfants entraînés avec. Garçon et fille, heureux et animés, nous racontent les événements de la matinée. Ils bavardent et sautillent.

    - Maman et Papa, nous avons fait de la gymnastique presque toute la matinée ! Zeke nous raconte.

    - Et, dit Zali pour ne pas être surpassée, j’ai fait de la peinture !

    Tous les deux sont affamés et déjà, ils grignotent la baguette que John porte sous son bras.

    - Eh, Maman, le « teacher » m’a dit qu’il faut une serviette et un bonnet de bain parce que nous allons faire de la natation cet après-midi. Serviette et bonnet ! John se souvient d’un magasin propice et il part en vitesse avec Zeke pendant que je range notre pique-nique et raccompagne Zali à l’école.

    - Demain Maman, nous allons fabriquer des objets, et elle me donne une note sollicitant des cartons, des bouteilles en plastique et des vieux habits.

    Je me souviens de sa maternelle si loin, à Sydney. Après tout, il n’y a vraiment aucune différence, n’est-ce pas ?

    Les Routines…

    Le mois d’octobre représente le véritable début de notre nouvelle vie : des douches au petit matin, un petit déjeuner en vitesse, une ruée vers le métro avec une cassette du chanteur « Meatloaf » à plein sur le puissant stéréo de la voiture, puis une demi-heure dans une rame pleine à craquer pour finir avec une marche rapide sur les trottoirs devenus courses d’obstacles en ces heures d’affluence.

    L’après-midi, nous retraçons nos pas, demandons le courrier au bureau de camping, faisons nos courses à toute vitesse et rentrons à la caravane. Il fait encore jour et les enfants peuvent faire un peu du vélo avant leurs devoirs. Pour moi, il y a la lessive, le repas, les lettres à écrire – en somme, tout le travail banal et quotidien d’une famille.

    Les enfants ne possèdent que quelques livres, nounours et jouets transportés avec nous dans l’avion. Pourtant ils sont contents et s’amusent bien au camping, explorant ensemble le nouveau monde qui les entoure. Vite, il se forme un fort lien fraternel entre eux. Bien sûr il y a de la chamaillerie et pas mal de concurrence pour notre attention ; ce serait peu réaliste d’attendre autrement.

    Zali est à la maternelle et apprend à chanter et à compter en français sans être obligée d’aborder les accords et les conjugaisons. Zeke est en CE1 et la classe est déjà bien emmêlée avec la lecture, les mathématiques et la grammaire. Il devient copain avec un jeune écossais et à cause de ça, Zeke fait moins de progrès en français. À la fin du premier mois, il est transféré à une école qui donne des cours plus intensifs aux étrangers. Cette école ne se trouve pas loin de notre métro habituel mais dans une direction totalement opposée à celle de la rue Vaugirard et trop loin pour aller chercher les deux à midi. Donc il reste à la cantine. Il est assez content d’être avec les copains et il fait beaucoup de progrès en français mais il est atterré par la nourriture.

    - Maman, aujourd’hui il y avait des carottes – in wet juice !

    Carotte râpé à la vinaigrette ne sera jamais un de ses plats favoris.

    Chaque matin John et moi luttons avec les complexités de la grammaire française. « Nous vous souhaitons la bienvenue »... Ça va bien, mais quelquefois, je pourrais facilement m’abandonner à la tactique employée par beaucoup d’étudiants : celle d’utiliser tous les verbes à l’infinitive, contournant les temps et les conjugaisons avec un sourire, laissant ainsi l’auditeur combler les lacunes. C’est une expérience humble d’apprendre à parler et à vivre dans une autre culture. J’éprouve beaucoup de sympathie pour ceux qui doivent s’adapter à un pays et à une langue qui n’est pas les leurs. Dans la première semaine de classe, John hoche sa tête et répond « Oui » à toutes les questions, jusqu’à quelqu'un chuchote à haute voix que la maîtresse lui demande son nom ! Pourtant, nous faisons beaucoup de progrès et tous les deux, nous réussissons les tests de la fin du mois avec une aisance gratifiant.

    Les étudiants à l’Alliance française viennent des quatre coins du globe et nous sommes obligés de parler en français pour communiquer avec nos pairs. Beaucoup d’eux, venant des pays africains, sont jeunes, maigres, mal habillés et malheureux dans ce climat froid mais affamé d’obtenir une éducation. John et moi sommes les plus âgés dans nos classes respectives, sauf une vieille américaine dans la mienne. C’est la saison des rachats commerciaux et son mari est très occupé chez lui à Seattle. Elle est venue à Paris pendant cette durée. Elle fait du « What’s on in October » and « Paris-by-night » avec une détermination qu’épuiserait un car entier de jeunes touristes.

    Quelqu’un nous dit que la meilleure façon d’apprendre la vernaculaire est d’étudier « la pub » dans le métro et de lire des bandes dessinées. Les enfants aiment beaucoup Tintin et compagnie et probablement en tirent beaucoup plus de renseignements utiles que nous les adultes. La radio française n’est encore qu'une statique de sons étranges et nous nous informons des actualités du jour par moyen de la BBC World Service et, s’il fait très beau, de l’ABC pour des nouvelles d’Australie.

    C’est une période fatigante, mais vivante et stimulant tout de même. Faire du camping ajoute un élément d’aventure à notre vie – et pas mal d’épreuves. Notre mise en route matinale devient encore plus matinale quand nous trouvons une ligne ondulante creusée tout le long d'un côté de notre nouvelle voiture. John décide que c’est trop risqué de la laisser garer dans la rue toute la journée. Le matin il nous conduit au métro, puis ramène la voiture au camping avant de prendre son vélo et de se rendre lui-même en ville. Il traverse le Bois de Boulogne et passe devant les prostituées peu habillées qui se sont installées au bord de la route espérant faire un peu de commerce parmi les ouvriers de l'équipe de nuits chez Renault. Puis il traverse les rues d’Auteuil et rejoint la circulation épaississante près de la Seine. Ça fait quarante-cinq minutes très ardues sur des pavés – ce qui ne s’arrange pas avec une selle mince de vélo. La saison avance ; les brumes matinales sont de plus en plus fraîches et le trajet pour John devient une sorte de spectacle du cirque. Il alterne une main à la fois sur le guidon, l’autre derrière son dos pour la réchauffer. Vêtu en casquette (style français), blouson, gants et un jean de plus en plus usé, il ne ressemble plus du tout au notaire bien habillé qu’il était à Sydney il y a seulement un mois. Aussitôt que sa classe est terminée, John repart pour la caravane et j’attends en ville pour rentrer par le métro avec les enfants.

    L’après-midi, Zali sort de l’école en gambadant, ses nattes flottant en l’air, tenant par la main sa meilleure copine du jour. Zeke sort en vitesse et commence tout de suite à fouiller dans mon sac de cuir à la recherche de quelque chose à manger. Quand il fait plus froid nous achetons des cornets de marrons chauds au coin de la rue. Quelque

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