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Ame Qui Survit: Soul Survivor
Ame Qui Survit: Soul Survivor
Ame Qui Survit: Soul Survivor
Ebook478 pages7 hours

Ame Qui Survit: Soul Survivor

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About this ebook

Soul Survivor explores the depths of human emotions, both real and imagined. That any I of us reach adulthood in one piece, emotionally or physically is a miracle of no small proportion. That any of us reach adulthood to contribute back to society and become highly respected in the community is truly a gift of time and place.

Soul Survivor is a true story of fortitude, and iron will and looking to the future in the hope that tomorrow will be better than today. Soul Survivor is nothing less than a story of triumph. "Little Mary" Reese spent her childhood living, working and playing in a funeral home. Her mother, Mrs. Mary ("Big Mary") Reese, was well known and respected in the African-American community in Los Angeles through the operation of a prestigious black funeral home. Little Mary's story tells what really happens behind the embalming room doors- the light and dark side of life. Soul Survivor is both humorous and mischievous, and talks of sex, murder, voodoo, preachers and deviate gravediggers.

Famous entertainers that passed through Little Mary's life include Redd Foxx, Lou Rawls, Sam Cooke, Billy Preston and Johnny Cochran.

Little Mary was born in 1944 in the South, reared in the Southwest and was often disparagingly referred to as "high-yellow." During racial tensions of the '50s and '60s, Little Mary found her hue to be a major issue but not her only problem. Mary's mother caused her to endure life threatening situations due to her drinking and wild ways. Little Mary’s childhood experiences, the mental and physical abuse faced each day, led her to believe that her only true friends were the dead people in the funeral home. Indeed, Little Mary received a BS degree (Be Smart) at an early age. It was the only way she I knew to survive.

Little Mary's story is and unlikely but revealing peek into the unexpected and in the end, truly a story of a Soul Survivor.
LanguageEnglish
PublisherAuthorHouse
Release dateDec 6, 2020
ISBN9781665509459
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    Book preview

    Ame Qui Survit - Mary Ross Smith

    Remerciements

    Écrire ce livre n’a été possible que grâce à mon mari, Verne W. Smith, qui m’aime pour moi-même, sans aucune réserve, sans me juger sur mon passé. Merci, Verne. Tu es mon roc inébranlable, mon admirateur fidèle, l’ardeur qui m’entraîne et qui m’a permis d’atteindre mon objectif qui était d’écrire mon histoire. Tu m’as accordée le temps nécessaire et l’espace voulus pour écrire. Parce que tu as cru en moi, que tu m’as fait confiance, j’ai pu m’acquitter de la tâche que je cherchais à accomplir, sans y renoncer.

    J’aimerais aussi mentionner les nombreuses personnes qui m’ont aidée tout le long de mon parcours—au travers toutes les larmes que j’ai versées pendant que j’écrivais mon histoire.

    Pour commencer, mes remerciements à Fred S. Sado III, surnommé Julian Sado, mon fils, qui, dès le moment où j’ai aperçu son cher petit visage, m’a donné une raison de vivre. Mon fils, merci de m’avoir toujours fait confiance, de m’avoir encouragée quand mon moral était au plus bas. Tu as été mon protecteur, tu m’as aidée à garder ma concentration quand j’avais perdu tout courage.

    Merci à Marla Everett, ma chère amie qui a travaillé en étroite collaboration avec moi pendant que je rédigeais un premier brouillon. Merci à Lynda Neely, ma chère amie, qui m’a aidée à corriger l’épreuve finale. Merci à Erick Westcott, du Salon Funéraire de Sedona.

    Remerciements particuliers à Terry Dawson, mon agent, du Groupe ABACUS, et à Jo Ann Krueger, qui a élevé mes écrits à un niveau commercial. J’apprécie tout ton dur travail, et je te remercie de m’avoir si bien accompagnée.

    Merci à Lois Mark Stalvey, écrivaine et conseillère, et à toutes les personnes spéciales à Sedona, en Arizona, qui m’ont encouragée dans mon entreprise.

    Aux Lecteurs et Lectrices

    Un message de l’Auteure, Mary Ross Smith

    Je désire préciser la période de mon histoire, qui prend place dans les années 1950 à 1960, aux Etats-Unis.

    Ce récit est l’histoire de la vie d’une femme entrepreneure de pompes funèbres et du dysfonctionnement de sa famille et de la vie de ses enfants. Étant la plus jeune de cinq enfants, je crois avoir été la plus durement touchée par ses frustrations et ses colères.

    Certains des noms des personnages sont imaginaires. Cependant, les événements ne le sont pas, mais pourraient très probablement être contestés par certaines personnes qui sont encore vivantes.

    J’ai déjà entendu dire que l’esprit est à soi-même sa propre demeure ; il peut faire en soi un ciel de l’enfer, et un enfer du ciel. L’esprit d’un enfant le protège.

    Ceci est le récit de l’histoire vécue d’une personne qui a choisi de rompre la chaîne de maltraitance et de donner une chance à la vie.

    Respectueusement soumis,

    Mary Ross Smith

    Chapitre 1

    O N M’APPELLE PETITE MARIE. JE SUIS NEE A JACKSON, au Mississippi, aux Etats-Unis, et on m’a nommée Mary Eliza Reese, Jr., comme ma Mère. En 1947, notre famille habitait Jackson, au Mississippi, puis Los Angeles, en California, car mon Père en avait assez des préjudices du Sud et voulait résolument procurer une meilleure vie à sa famille. Ma Mère ne s’entendait pas à déménager là, mais en bout de compte, mon Père l’en persuada.

    J’ai toujours été fière de mon nom vu les nombreuses belles qualités de ma Mère. Elle était une brillante femme d’affaires qui, au début des années 50, avait réussi dans le domaine très compétitif des funérailles dans le Centre-Sud de Los Angeles, bien qu’elle ait été une femme, et Nègre, de surcroît. Elle était belle, avait le teint clair, la chevelure satinée noire. Sa personnalité était telle que les gens l’aimaient dès leur première rencontre, car elle avait le don de faire qu’on se sentait important en sa présence. Les gens disaient d’elle que « Cette Madame Reese, elle parvient facilement à conquérir son monde ». Elle adorait divertir, et agissait toujours comme si elle était la vedette.

    Grâce à Mère, nous étions toujours entourés des personnalités importantes Noires de l’heure, parmi lesquelles les révérends, les politiciens, les célébrités, et même quelques hauts-gradés de la Police de Los Angeles. Pour sûr, Mère ne manquait pas de qualités remarquables, mais ma vie à moi, à dix ans, la plus jeune de cinq enfants, dont quatre vivaient à la maison, n’était rien de moins que l’enfer. La dépendance de ma Mère à l’alcool déchirait la famille.

    Je me rappelle comme si c’était hier. Il est à peu près minuit quand Mère crie à tous les enfants de sortir du lit et de descendre de l’étage, se mettre en rang, du plus petit au plus grand. Il est évident qu’elle a consommé beaucoup d’alcool ce soir-là, et qu’elle et Papa se sont disputés. Mais ce que Mère nous dit nous étonne tous et me fait une peur bleue, car je sais qu’à partir de ce jour-là, ma vie ne sera plus jamais la même. Elle nous ordonne de choisir avec qui nous voulons aller vivre, car elle chasse mon père de la maison. Papa est un homme tranquille, qui déteste la cigarette, la boisson, et évite la bagarre autant que possible, surtout avec Mère. Le comportement irrationnel de Mère est devenu insupportable, même pour cet homme réservé.

    Willie Jr., nommé comme notre Père, âgé de douze ans, va aller vivre avec Papa. Lenore, qui en a seize, Ilona quatorze, et moi, resterons avec Mère. J.T., mon frère aîné, partira pour l’Armée de l’air. Notre foyer devient un enfer ; quelques années plus tard, Lenore se marie.

    Il ne reste plus que deux de nous, Ilona et moi, sans plus personne pour nous protéger.

    Sans la stabilité que Papa conférait à la famille, le comportement de Mère devient de plus en plus irrationnel avec le temps.

    Après ce soir-là, elle commence à boire graduellement de plus en plus, et sa relation avec son partenaire marié, M. Hubert, semble tourner d’une relation purement d’affaires à autre chose.

    Mère est co-propriétaire et directrice funéraire du Salon Funéraire Hubert & Reese. Elle est fière d’être la fille de J.T. Stone, le fondateur du Salon Mortuaire J.T. Stone, bien connu au Mississippi.

    Le prestige de sa célébrité, dans le domaine des Salons Funéraires pour Nègres à Los Angeles, attire énormément de clientèle.

    ***

    Nous sommes en 1954. Par une chaude journée de juillet, je suis assise sur les marches du perron avant du Salon Mortuaire. J’attends que Mère sorte du bureau de M. Hubert. Je me demande ce qui lui prend tant de temps. Je m’ennuie et j’ai envie de rentrer à la maison. Je les entends parler, mais je ne peux pas entendre ce qu’ils disent…ou ce qu’ils ne disent pas. Quoiqu’il en soit, je passe beaucoup de temps à rêvasser sur mon grand-père. Mère parle si souvent de lui, combien il était sévère, comme on l’admirait dans le Sud. Toujours assise sur les marches du perron, je pense à ce grand homme que je ne connais pas, le célèbre J.T. Stone, et je souhaiterais l’avoir personnellement connu.

    Mère m’a raconté bien des histoires captivantes sur mon grand-père, qu’il était un prédicateur baptiste respecté, qu’il gouvernait sa famille avec un gant de velours et une main de fer. Malgré sa réputation d’être un Père sévère, les cinq filles et l’unique garçon Stone étaient considérés capricieux et prétentieux. Le frère de ma Mère, Nathan, était mort jeune, au début des années 1900. Nathan, le seul fils de J.T. Stone, était un homme insouciant. Il avait quitté le Mississippi, attiré par l’éclat et l’engouement de Los Angeles. On dit qu’il était très beau, avait la peau d’un teint brun clair et des yeux gris, et que les femmes le trouvaient irrésistible.

    Malheureusement, on a retrouvé Nathan, à peine âgé de vingt-trois ans, mort dans une ruelle du bas de la ville de Los Angeles. Les circonstances exactes concernant sa mort demeurent un mystère, mais selon une rumeur largement répandue, son style de vie rebelle, sa fortune et son arrogance auraient provoqué sa mort.

    Nathan était allé à Los Angeles, contre le gré de son Père. Il est arrivé par train, arborant la plus belle mode, les plus belles parures, et une grosse liasse de billets. Le jeu était l’un de ses vices, boire de la liqueur forte l’autre.

    Selon les dires, quand il est arrivé à Los Angeles, Nathan s’est mis à fréquenter un groupe de joueurs auprès de qui ses dettes de jeu dépassaient ses limites. C’est durant cette période qu’il avait commencé à télégraphier grand-père au Mississippi, lui demandant des fonds. Après lui avoir fait parvenir des sommes d’argent plusieurs fois par câble, grand-père décida que c’était assez et refusa de lui en envoyer davantage. Nathan supplia son Père, promettant que ça serait la dernière fois qu’il lui demanderait d’être renfloué, que sans le fric, sa vie était en danger. Grand-père continua de maintenir sa décision de ne plus virer de fonds, espérant que son fils se ressaisirait et reviendrait à la maison prendre sa place comme unique héritier mâle du patrimoine familial et dirigerait le Salon Funéraire. Trois jours plus tard, grand-père recevait un télégramme lui annonçant que son fils avait été brutalement assassiné. Nathan Stone avait été trouvé mort dans une ruelle. Il avait été battu avec un objet contondant et poignardé plusieurs fois au cœur. Il était apparemment mort du premier coup qui lui avait été asséné à la tête. Les tueurs n’ont jamais été appréhendés, et grand-père n’a jamais plus été le même. J’étais désolée de n’avoir jamais eu la chance de connaître mon oncle.

    ***

    Mère m’a dit que, de son temps, grand-père était une légende, reconnu comme un homme d’affaires intelligent ayant beaucoup de succès, et un avocat du peuple qui ne reculait devant rien. C’était en fait sa passion pour le bien-être de la population Nègre de sa ville du Mississippi qui l’avait mené à faire la connaissance de Booker T. Washington, et à mettre sur place, avec lui, un service ambulancier et une Résidence funéraire vers la fin des années 1800. Cette Résidence a d’ailleurs nombres fois servi de refuge à des individus désespérés ou déplacés. On m’a raconté qu’il avait un jour sauvé la vie d’un jeune Nègre qui aurait sans nul doute été lynché pour avoir tiré sur un homme Blanc lors d’une échauffourée. On avait conclu à un cas de légitime défense mais, au Mississippi, au début des années 1900, c’était l’équivalent d’un meurtre. Grand-père avait envoyé le jeune homme à San Francisco par train. Il avait fait étendre le jeune homme dans un cercueil en bois ordinaire, rien d’extravagant pour ne pas attirer l’attention. Le cercueil avait été scellé au cadenas. L’intérieur du cercueil était doublé de jarres d’eau, sandwiches, et de pommes, juste assez pour survivre le transport. Le cercueil avait été percé de trous discrets invisibles sur le côté pour respirer l’air. Sur le couvercle du cercueil, il avait placé une large pancarte qui lisait :

    N’OUVREZ PAS! HOMME MORT À L’INTERIEUR DU CERCUEIL

    J’adorais entendre les histoires sur mon grand-père et sur mon oncle, racontées principalement par ma Mère. Je suis certaine qu’elle avait parfois exagéré, mais je croyais tout ce qu’elle me racontait. Souvent, quand je rêvassais, j’avais l’impression de retourner dans le temps, de voir mon grand-père agir pour ce qui était juste, déterminé à améliorer les conditions de vie pour sa famille. Je me demandais si ma Mère tenait de lui?

    Chapitre 2

    J E SUIS RAVIE DE VOIR M. HOLMES MARCHER DANS MA direction.

    C’est un homme de belle apparence, qui arbore un grand sourire et a l’air gentil.

    Je pourrais rêvasser plus tard puisque j’aimais imaginer comment étaient mes grands-parents. Pour le moment, M. Holmes me tient compagnie.

    "Bonjour, P’tite Marie, que fais-tu? » me demande-t-il avec un large sourire.

    "Je suis juste en train d’attendre que Mère sorte du bureau de M. Hubert », je réponds.

    "Et moi, je ne fais qu’aller au travail. Tu as envie de venir me voir faire de la magie? » Subitement remplie d’excitation, je lui demande, « Quelle magie? »

    "Suis-moi, je t’apprendrai un peu du métier », me promet-il. Je suis tellement pressée de le suivre que je me lève trop rapidement des marches et manque de tomber, mais M. Holmes m’attrape juste à temps et me fait un beau sourire… Je le trouve très sympathique.

    M. Holmes est embaumeur pour le Salon Hubert & Reese, et son épouse, Ima, est esthéticienne et maquilleuse. Ima a une excellente réputation et est très en demande vu son talent pour donner une apparence rajeunie aux morts. Elle a un sourire qui attendrit les cœurs. Elle porte une perruque différente à tous les jours, ce qui fait chic, mais il est apparent qu’il s’agit d’une perruque. À chaque fois qu’elle me voit, elle me serre fort dans ses bras. Sa grosse poitrine est douce comme un oreiller et elle tire mon visage droit dedans, si bien que j’ai l’impression d’étouffer, mais je me sens toujours en sécurité en sa présence. J’aurais adoré vivre avec elle et M. Holmes. Tout en me tendant la main, M. Holmes répète,

    "Viens, Petite Fille. »

    Je le suis vers l’arrière du Salon Funéraire. Je suis tellement contente de parler avec quelqu’un, c’est plus agréable que de rester toute seule assise sur cette marche dure à l’extérieur du bureau de M. Hubert. À l’arrière, je vois un corbillard stationné devant les doubles portes ouvertes qui mènent à la Salle d’Embaumement. Quand j’hésite un peu, M. Holmes me dit gentiment,

    "Viens, fillette. Ne crains rien. »

    "Je n’ai pas peur! » je défends farouchement, même si ma voix tremble légèrement, ce qui, j’espère, passera inaperçu.

    C’est ma première fois dans la Chambre Funéraire, et je me sens un peu appréhensive. Mon cœur s’emballe, j’ai les mains moites. J’avance d’un pas hésitant dans la pièce. Je suis totalement prise de surprise par l’odeur forte, âcre et caractéristique du formol qui se dégage et pénètre mes narines. Mon corps réagit de façon immédiate en ce que je vois des étoiles, les yeux me brûlent, et l’odeur m’oppresse quasiment. Je prends un moment pour m’adapter et, lentement, j’avance dans la pièce où la vue de trois corps morts, deux hommes et une femme, me fait presqu’oublier l’odeur pénétrante du formol. Les corps sont là, nus, il me semble, sur des tables, avec des draps tirés jusqu’au cou. Avant ce jour-là, je n’ai jamais vu quelqu’un de nu—ni vivant, ni mort.

    M. Holmes me dit alors, sérieusement, mais avec une voix douce, « Je vais te dire quelque chose dont tu te rappelleras le restant de ta vie, Petite Fille. N’oublie jamais ça. Les morts ne te feront jamais mal, les vivants si! Ceci est ta première leçon pour aujourd’hui. »

    Je reste là, immobile, en dépit de sa rassurance. Il me semble ne pas pouvoir faire marcher mes jambes, mais pourtant je me sens lentement reculer.

    "Approche-toi », m’encourage M. Holmes.

    "Non. Je crois que je devrais m’en aller maintenant », dis-je, gênée.

    "Allons, Petite Marie. Rien ni personne ici ne va te faire de mal, je te le promets! »

    Il vient vers moi, me soulève, et doucement, me dépose sur un banc haut, à côté de l’un des corps.

    "Là, tiens-moi juste compagnie, » me dit-il d’une voix rassurante.

    De mon perchoir, je regarde timidement autour de moi. La première chose que je remarque est une table, à côté de l’un des corps. Sur cette petite table, se trouve toutes sortes d’instruments et d’outils, comme dans le cabinet d’un médecin. Il semble y avoir des couteaux tranchants, un pic à glace, et aussi plusieurs tubes et des pots.

    Bien que le battement de mon cœur ait un peu ralenti, je le sens battre plus vite que d’habitude. Tentant de ne pas montrer ma peur, je demande,

    "M. Holmes, c’est quoi ce tube, et à quoi ça sert, et celui-là là-bas? »

    "Ralentit, Petite Fille! » me dit-il tranquillement. « Fais juste regarder et apprendre. Je vais expliquer au fur et à mesure. »

    "Bon », dis-je d’une petite voix, essayant de ne pas lui montrer que je suis plutôt craintive et hésitante face à ce qui m’entoure.

    Puis, je prends conscience du fait qu’il fait très froid dans la Chambre mortuaire et malgré l’odeur toujours très forte et irritante pour mon nez, la force initiale diminue. Je continue de jeter un coup d’œil autour de moi, sans regarder ce que fait M. Holmes. Je suis surprise de constater que tout est blanc. De fait, partout où je pose mon regard, je ne vois que du blanc—les murs sont blancs, les rebords des fenêtres, les armoires, les comptoirs, les chaises. Même M. Holmes a enfilé un sarrau blanc et des gants en caoutchouc blancs.

    "M. Holmes, pourquoi est-ce que ça sent si fort? » je demande, vu que l’odeur dans la chambre mortuaire me rappelle l’odeur de quelqu’un qui a été malade dans la salle de bain.

    "Lorsque les gens meurent, ce qui est à l’intérieur meurt aussi, » explique-t-il patiemment.

    Fascinée malgré moi, je regarde M. Holmes insérer une seringue et un tube qui semblent créer une succion dans le cou d’un homme décédé. À nouveau, je commence à me sentir faible, étourdie, et puis tout devient noir.

    "Petite Marie, Petite Marie, ça va? » La voix de M. Holmes panique tandis qu’il me soulève.

    Comme de très loin, j’entends sa voix, et quand j’ouvre les yeux, je réponds, « Ça va. » Je me sens tout de même vraiment stupide.

    "Je ferais mieux de te ramener à ta mère », dit-il, tout en m’aidant à me relever.

    "D’accord », je réponds.

    M. Holmes sait que je suis un garçon manqué, mais avec lui, je me sens toujours comme une petite fille. J’ai le teint clair comme ma Mère et cela me plaît lorsque les gens disent que je lui ressemble. Je porte habituellement mes longs cheveux noirs en deux tresses pour être pratique, ce qui met en valeur mes grands yeux noirs. Même si je suis plutôt maigrichonne, je suis aussi coriace qu’un des petits garçons du quartier. Mon plus gros problème se présente quand j’ai à porter une robe.

    La marche de retour au Salon Mortuaire me semble durer bien plus longtemps que l’aller. Comme la porte du bureau de M. Hubert est toujours fermée, je tente de voir au travers les rideaux dentelés des portes à la française, mais je n’y vois rien. Juste comme je me retourne pour aller m’asseoir sur la marche du perron, la porte s’ouvre soudainement avec tant de force qu’elle me frappe et m’envoie valser par terre sur mon derrière. Je me relève spontanément, rebondissant comme une balle, et dit, « Salut Maman, prête à partir? »

    "Que faisais-tu? » me demande-t-elle en souriant. Je voudrais lui poser la même question, mais je sais qu’il vaut mieux pas.

    "Oh, rien, je tenais compagnie à M. Holmes », je lui réponds avec un sourire hésitant, timide. Je ne sais pas de quoi elle et M. Hubert ont parlé, mais ça a l’air de l’avoir mise de bonne humeur. Quand M. Hubert sort de son bureau quelques instants plus tard, lui aussi semble de très bonne humeur et il est souriant.

    M. Hubert n’est pas l’une de mes personnes préférées. Il est un homme costaud, d’au moins quatre-vingt-dix kilos, avec une peau noire très foncée. Malgré que ses cheveux s’amincissent sur le dessus, il a une fine moustache noire et de longs favoris qui lui confèrent une apparence distinguée. Il arbore habituellement un sourire en coin quand il marche aux alentours. Mme Hubert met rarement les pieds au Salon Funéraire.

    ***

    Le trajet pour revenir à la maison est long et prends habituellement quarante-cinq minutes, selon la circulation. Je suis toujours heureuse de rentrer chez moi. Ilona, ma sœur préférée, est alors âgée de quatorze ans, et je suis contente qu’elle vive toujours à la maison. Nos frères J.T., Willie Jr., et notre sœur aînée Lenore, ne se sont pas beaucoup occupés ni de Ilona, ni de moi, alors nous nous accrochons l’une à l’autre. Elle est ma meilleure amie, ma protectrice.

    Il est à peu près dix-huit heures, la soirée est encore assez chaude, mais dans l’automobile, on sent un réel frisson. « Mère, j’ai si hâte de voir Ilona. »

    "Oh, ferme-la. » lance-t-elle. Juste comme ça, son attitude change, et mentionner le nom d’Ilona semble la rendre furieuse.

    Je n’ajoute pas un mot et me tais. Puis, Mère me prend la main. Les siennes sont douces et lisses, mais elle commence à serrer, de plus en plus fort, jusqu’à ce que les larmes me coulent des yeux.

    "Arrête, ça fait mal », je lui dis. Ma main est devenue violacée.

    "Oh, ne fais pas tant le bébé. »

    "Ça fait vraiment mal. »

    "Bon, désolée. Je n’ai pas voulu te faire mal. » dit-elle, mais son sourire est narquois.

    Nous conduisons le reste de la route en silence, chacune perdue dans ses pensées. Franchement, je n’ai pas grand-chose à dire.

    Quand nous arrivons dans notre entrée, je me sens saisie d’un ardent désir de voir mon père, mais je sais qu’il ne sera pas là. Il me manque tellement. Selon ma Mère, il ne m’aime pas. C’est ce qu’elle me répète au quotidien.

    Comme je jette un coup d’œil par la fenêtre de l’automobile, j’aperçois mon vélo dans la cour arrière. La cour arrière est large, avec un arbre immense dans lequel je grimpe fréquemment. J’ai envie d’enfourcher bicyclette et de pédaler loin, loin, ailleurs, mais j’ai besoin de voir ma sœur.

    Notre maison est située à l’intersection de Gramercy et de la 21e rue, un beau quartier chic et transitionnel. Nous sommes l’une des trois seules familles de couleur à vivre là. La maison est grande, vieillotte, a trois étages, cinq chambres à coucher, quatre salles de bain, un boudoir, une cuisine, une salle à manger officielle, et un sous-sol qui me donne la chair de poule à chaque fois que j’y descends. Le troisième étage consiste en une chambre spacieuse et une chambrette, et une autre porte qui mène au grenier, lequel me semble horrible. Je refuse de monter au troisième étage sans Ilona.

    Il y a une histoire concernant notre maison qui intrigue la famille et tout le quartier, semble-t-il. Le propriétaire précédent y aurait supposément tué sa femme et aurait dissimulé une fortune dans les murs. La rumeur dit qu’un jour il reviendra chercher son magot. Si c’est vrai, il ne l’a jamais fait pendant que nous habitions là, et nous avons cherché mais n’avons rien trouvé.

    ***

    Dès que l’automobile s’arrête dans notre entrée, je saute dehors, claque la portière, entends Mère crier, et cours vers la porte arrière, passant la cuisine, monte les marches au deuxième étage en courant.

    "Ilona, Ilona, où es-tu? » Je crie en courant jusqu’à la porte de sa chambre qu’on nomme la Chambre Bleue, parce que la chambre et la salle de bain sont peintes en bleu. La Chambre Bleue a d’abord été celle de J.T. avant qu’il quitte pour les Forces Armées. Il n’y a que lui et Mère qui aient bénéficié d’une chambre avec le privilège d’une salle de bain privée. Ilona a été la première à choisir après le départ de J.T.

    Anxieuse, je l’interpelle à nouveau, « Ilona! » J’essaie d’ouvrir sa porte, mais elle est verrouillée, alors je frappe de toutes mes forces, jusqu’à ce que mes jointures me fassent mal. Mère n’aime pas que les portes soient fermées à clé.

    "Qu’est-ce que tu veux? » dit-elle en entrouvrant la porte juste assez pour me voir le bout du nez.

    "Tu ne me fais pas entrer? », je demande.

    Elle ouvre la porte et me laisse entrer. Je suis si heureuse de la voir, mais je constate qu’elle a les yeux boursoufflés et qu’elle a pleuré.

    "Qu’est-ce qui ne va pas? » je demande.

    "Rien », répond-elle.

    "Quelque chose cloche. Dis-moi ce qui ne va pas », je la supplie.

    Je passe mes bras autour de sa taille et nous nous assoyons sur son lit. Elle commence à pleurer de manière incontrôlable.

    "Si tu répètes à qui que ce soit, je ne te pardonnerai jamais, » dit-elle avec réticence. Elle a peine à trouver les mots.

    "Quoi? Quoi? » je demande.

    "Hier soir, Mère a reçu pas mal de monde, et… »

    Je lui coupe la parole, « J’ai entendu beaucoup de bruit. »

    "Tais-toi et laisse-moi te dire ce qui est arrivé. »

    "D’ac », je lui dis, en baissant la tête de façon contrite pour avoir parlé quand ce n’était pas à mon tour. Mes mains tremblent, car je sens la peur dans sa voix et cela m’effraie.

    "La nuit dernière, j’étais couchée, quand soudain, je me suis fait réveiller par le poids d’un homme sur moi qui me prenait par force. J’ai hurlé et hurlé. Finalement, Mère est montée et a commencé à me crier après, au lieu de lui crier après. Elle a dit que c’était ma faute. »

    "Est-ce que c’est pour ça que ta lèvre est enflée? » je demande. « On dirait que quelqu’un t’a frappée! »

    "Oui. Il m’embrassait avec tant de force que ma lèvre s’est mise à saigner. »

    "Pourquoi est-ce que Mère ne t’a pas crue? » je demande.

    "Je ne sais pas! Depuis que Papa et J.T. et Willie sont partis, Mère est devenue folle. Petite Marie, je vais me sauver », dit-elle.

    "Non! Ne me laisse pas, je t’en supplie. » Je commence à pleurnicher et mendier pour qu’elle ne parte pas. « Je vais partir avec toi. »

    "Tu ne peux pas partir! Mère me tuerait. »

    "Je m’en fous. Je ne peux pas rester ici sans toi, je t’en supplie, je t’en supplie, Ilona, ne pars pas sans moi. » Je ne peux plus maîtriser mes larmes. J’entends la voix de Mère qui crie d’en bas, furieuse.

    "Petite Marie, qu’est-ce vous faites là-haut? » Crie-t-elle encore plus fort.

    "Rien », répond Ilona.

    Nous entendons Mère monter les marches. Ilona se met à trembler.

    "Ne lui dis pas que je t’ai raconté. »

    "Qu’est-ce que vous faites? » Mère dit en me regardant avec mépris. Elle remarque que j’ai pleuré.

    "Rien », dis-je, la tête baissée, « Ilona ne se sent pas bien et ça me fait de la peine. »

    Mère est en colère. Elle me tire par le bras, me pousse hors de l’embrasure de la porte, et m’ordonne, « Va dans ta chambre. » Je cours le long du corridor jusqu’à ma chambre.

    Je quitte la chambre d’Ilona le cœur brisé. Je sens la frayeur que ma sœur éprouve. Que puis-je faire? Rien! C’est ce qui fait mal. Je n’arrive pas à dormir, je ne fais que penser à Ilona, à Papa.

    Ilona est belle, elle a le teint clair, rayonnant, légèrement basané. Ses cheveux sont noirs et ondulés, pas comme ceux de Mère ni comme les miens. Elle doit les presser pour les rendre lisses. Elle a de beaux yeux noirs, d’épais sourcils, une grosse poitrine pour une fille de quatorze ans. Elle ne se croit pas belle. Ilona ressemble tellement à Papa, que je crois que c’est la raison pour laquelle Mère lui en veut tellement. Ce qui me fait songer aux histoires que j’ai entendues concernant mon Père, assise sur mon lit et serrant mon oreiller…

    Je ne sais pas vraiment grand-chose sur mon Père. Je l’aime. J’essaie de me rappeler de bons souvenirs, au mépris du nombre de fois que Mère m’a dit qu’il me détestait. Il est bel homme, un peu moins grand que Mère, ce qui ne l’a jamais dérangé. Il s’est débrouillé tout seul depuis l’âge de douze ans. Père était propriétaire d’une station-service pour automobiles près de la maison. Il avait été élevé en Louisiane, le petit-fils d’esclaves, et il avait dû quitter l’école en sixième année pour travailler et aider sa Mère, Grosse Mama. Les histoires de Père me terrifiaient.

    Il me raconta un jour à Ilona et à moi, qu’en Louisiane, Grosse Mama et son amoureux Charlie étaient tous les deux alcoholiques, et que souvent, Charlie battait Père, juste pour le plaisir de la chose. Alors Père s’était enfui à l’âge de douze ans. Il s’était trouvé de petits boulots, dormait dans les baies de portes. Et même à cet âge-là, il avait résolu de se faire une meilleure vie, sans ivrognerie, sans violence.

    Il était dévoué pour Grosse Mama et retournait régulièrement voir à ce qu’elle ne manque de rien et lui donnait de l’argent. Un soir, Père avait croisé Charlie et s’était battu avec lui, le tuant presque. Il avait travaillé toute la journée à faire du bricolage et était venu pour remettre une somme d’argent à sa Mère, quand Charlie s’était précipité sur lui, le maudissant et le menaçant de le tuer s’il se montrait la face à nouveau. Les choses s’étaient enchaînées, et Père s’était battu comme un homme contre lui, pas comme un gamin. La bagarre était devenue hors de contrôle. Charlie était soûl et ne pouvait pas prendre le dessus sur Père, alors il se battait à coups bas. L’homme avait attrapé une carafe remplie d’eau et s’en était servi pour frapper Père à la tête. Abasourdi et étourdi par le coup dur qui lui avait été asséné à la tête, l’adrénaline lui courant dans les veines, il s’était battu avec une vigueur renouvelée jusqu’à ce qu’il mette Charlie K.O. Se tenant à peine sur ses jambes, il avait trébuché et s’était demandé pourquoi l’eau lui coulait sur le corps.

    Il n’avait même pas réalisé qu’il avait la jugulaire coupée et qu’en fait, il saignait à mort, là, dans la cuisine de sa Mère. Quand il se toucha le cou et se rendit compte qu’il était couvert de sang et non pas d’eau, la réalité le frappa. Le dernier son que mon Père entendit en tombant par terre, fut celui de Grosse Maman qui criait à l’aide.

    J’ose à peine m’imaginer ce que pensa mon Père lorsqu’il s’éveilla et réalisa qu’il était à la morgue du comté. Vu qu’il était incapable de parler ou de remuer, il a simplement prié de ne pas mourir.

    Il était étendu là, il voulait crier, « je ne suis pas mort », mais n’y arrivait pas. Pendant que l’employé de la morgue parlait et rigolait avec un autre homme dans la morgue, il entendit un étranger dire, « Ce gamin n’est pas mort! ».

    Mon père ne pouvait pas ouvrir les paupières qui lui semblaient trop lourdes, mais il se sentait soulagé d’avoir clairement entendu des voix. L’étranger, qui avait réalisé que Père était en vie, était un médecin.

    Juste à ce moment-là, le médecin légiste était arrivé pour examiner ce qu’il avait d’abord cru être un garçon mort, « Bon sang, il est vivant! J’arrive à peine à le croire. Et il a la jugulaire presque coupée en deux. » Secouant la tête, étonné, l’employé de la morgue rétorqua, « Oh, docteur Porter, ce nègre sera mort dans quelques minutes, il ne lui reste pas de sang dans le corps. »

    Ne sachant pas trop comment Père avait atterri dans la morgue embêtait le Docteur Porter. « Pourquoi ne l’a-t-on pas emmené à l’urgence? Il aurait peut-être pu survivre. »

    Père savait qu’il mourrait probablement ; eux, se foutaient de lui, avait-il pensé, mais sa volonté de vivre était évidente pour le docteur.

    "Je peux le sauver celui-là. »

    Le médecin légiste lança, « Pourquoi? Ce n’est qu’un autre nègre. »

    Le cœur de Père cessa de battre…

    Une semaine plus tard, Père se réveilla, incapable de se bouger le cou, mais certain qu’il allait vivre. Avec précaution, il tenta de regarder autour de lui le plus possible, compte tenu de ce que la limitation de ses mouvements lui permettait, et constata qu’il se trouvait dans un soubassement, ou un stockage où on garde des balais, des chaudières, et cette sorte de choses. Puis, il réalisa qu’il était étendu sur un lit de camp. Ses pensées commencèrent à se bousculer. Qu’est-ce qui s’est passé? Le docteur lui avait-il vraiment sauvé la vie? Pourquoi?

    Il lui semblait que des heures s’étaient écoulées, mais il n’avait aucun moyen de savoir ni l’heure ni le jour. Enfin, la porte s’était ouverte, et un jeune homme Blanc était apparu, corpulent, les cheveux blonds, et les yeux bleus. Ce dont Père se rappelle le plus, est le sourire amical de l’homme.

    "Je constate que vous avez décidé de vous réveiller », le médecin avait dit avec entrain. Père voyait bien que le sourire était sincère, mais il était incapable de parler, alors il tenta de hocher la tête.

    "Vous l’avez échappé belle et vous revenez de loin, mais j’ai tout fait pour vous sauver. Comment vous sentez-vous? »

    Père tenta encore de hocher la tête, mais ne pouvait pas, la douleur étant horrible.

    "Ça va. Je sais que vous ne pouvez pas parler pour l’instant, mais vous le pourrez sous peu. La veine jugulaire de votre cou a été sévèrement lacérée, et vous avez perdu une énorme quantité de sang. Au fait, je suis le Docteur Porter, j’étais à la morgue quand on vous y a transporté. Apparemment, quelqu’un vous croyait mort! »

    Papa était rassuré de savoir qu’il était en vie, et il ne voulait pas en douter. Il était simplement heureux d’être vivant.

    "Je sais que les hôpitaux ne font pas grand-chose pour aider les Nègres et vu qu’il était évident que vous ne pourriez pas payer les frais d’hôpital, je vous ai emmené ici pour m’occuper de vous personnellement. Je ne pouvais pas vous laisser mourir…il me fallait tout faire pour essayer de vous sauver la vie. Après tout, c’est pour cette raison que je suis devenu médecin—pour sauver des vies, quelle que soit la couleur de la peau de la personne. Il me fallait essayer et, d’après ce que je constate, j’ai réussi. »

    Les larmes coulaient sur le visage de Papa. Le docteur Porter prit son propre mouchoir et, doucement, essuya les larmes du visage de Papa.

    "Vous allez vous en sortir, M. Reese. Dans une semaine ou à peu près, vous serez en mesure de partir. Ne vous en faites pas. Vos forces reviendront. Je vais m’arranger pour que vous receviez à manger et je vais vous obtenir des vêtements à porter. D’accord? Reposez-vous maintenant. Je m’occupe de tout », promit le docteur.

    Les larmes qu’il versa, furent des larmes de joie. Papa avait envie de dire, « Merci », mais les mots restaient coincés. Et puis, ses sentiments étaient contradictoires. Il lui était difficile de croire que ce docteur Blanc lui avait fait preuve de compassion. Il n’avait jamais eu cette expérience et n’avait jamais pu l’imaginer non plus. Ces derniers jours, il fixa son regard sur le plafond, réfléchissant, remerciant Dieu pour cet étranger Blanc, qui s’adressait à lui en l’appelant « M. Reese », et non pas « garçon ».

    Le temps passa et Papa quitta l’hôpital, un homme remis à neuf. Il avait un nouveau souffle, un nouvel élan de vivre. Par contre, sa rage et sa haine pour Charlie le dévoraient encore. Tout en regagnant ses forces et sa santé, Père planifiait son projet de vengeance. Enfin, un soir, il mit son projet à exécution.

    Il s’était caché sous la maison de sa Mère pendant trois jours. Pendant ce temps-là, les gens qui le connaissaient croyaient qu’il avait quitté la ville, ce qui faisait son affaire. Papa attendit patiemment qu’un moment se présente où Charlie serait seul et l’occasion se présenta le troisième jour. Alors, Papa pénétra dans la maison et, calmement, tira sur lui jusqu’à ce qu’il soit mort.

    Il avait bien calculé son coup et avait un alibi. Au Mississippi, le crime serait difficile à prouver. « De toute façon, » pensait-il, « on se moquera qu’un nègre ait été abattu. C’en est un de moins dont les flics auront à se soucier. »

    ***

    Père avait rencontré Mère en 1939, au Salon Funéraire de J.T. Stone, le jour où il prenait des arrangements funéraires pour sa première épouse. Quand ils se sont épousés, il était âgé de trente ans, et Mère en avait vingt-deux. Père aimait Mère et ses deux enfants. Peu après leur mariage, il adopta J.T. et Lenore, et il leur donna son nom de famille, Reese. User du terme de beaux-enfants était interdit. Ils étaient ses enfants, la question ne se posait même pas. Mère et Père eurent ensemble trois autres enfants.

    Le Mississippi, au début des années 1940, offrait peu d’opportunités aux Nègres. Père voulait plus pour sa famille que ce que le Mississippi avait à offrir. Il tenait à ce que ses enfants grandissent avec un sentiment de fierté, avec amour-propre, et dignité. Quoiqu’il ait été possible de réaliser cet objectif en vivant dans le Mississippi, il avait l’impression que les chances seraient plus favorables s’ils allaient vivre dans le Sud. C’était douloureux de quitter toutes les relations, mais mes parents croyaient que le sacrifice en valait la peine. Peut-être bouger avait été une erreur. Il semblait que lorsque nous vivions au Mississippi, la famille se tenait. En Californie, nous n’avions aucune famille, et notre entité familiale commença à s’effriter. Père vit son rêve pour une meilleure vie de famille s’envoler.

    Mère commença à cavaler dans toute la ville avec M. Hubert. Père n’avait aucune tolérance pour quelqu’un qui fumait ou buvait, et Mère faisait les deux.

    Le divorce fut rempli de ce mélange pervers d’amertume et de haine. Et après, il nous était interdit de même mentionner le nom de Papa sans que Mère se mette dans une rage folle. La situation était devenue si angoissante pour Ilona et moi, que ne voulions même plus nous trouver dans la même pièce que Mère.

    J.T. était déjà parti faire son service militaire quand la famille se sépara. Je me rappelle encore lorsqu’il revenait en permission—après tout, il était le favori de Mère. J’ai toujours cru que Lenore s’était mariée jeune pour pouvoir échapper aux tourmentes conjurées par Mère.

    Notre foyer était « divisé ». Chaque frère et sœur avait été programmé et conditionné à ne pas nous faire confiance entre nous et même à nous haïr l’un l’autre.

    Il revenait à Ilona et à moi de prendre soin l’une de l’autre et de Mère. En tant que l’enfant du milieu, Ilona se trouvait dans une position insoutenable. Mère la traitait comme le mouton noir de la famille, tout en lui reléguant le rôle de livreuse, femme de ménage et servante.

    Chapitre 3

    L A NUIT PASSE TROP VITE ET MERE me réveille en annonçant, « Tu viens travailler avec moi aujourd’hui. »

    J’en suis tout heureuse. On est samedi matin, et les samedis sont toujours les jours les plus occupés de la semaine dans le domaine des funérailles. Il peut y avoir au moins quatre obsèques et tout le monde est toujours tendu.

    En m’habillant, je m’inquiète pour Ilona. Je me demande où elle se trouve? Je prie qu’elle ne se soit pas sauvée durant la nuit comme elle l’a dit la veille. Je cours vite à sa chambre—elle n’y est pas. Je marche sur la pointe des pieds en bas des

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