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Souvenirs Militaires
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Ebook279 pages3 hours

Souvenirs Militaires

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About this ebook

« Scènes pittoresques de bivouacs ou de batailles, intéressant les campagnes de Pologne, d’Espagne, de Russie et d’Allemagne et s’achevant sur le portrait de Marmont que le justifie. »
p 163 - Professeur Jean Tulard, Bibliographie Critique Des Mémoires Sur Le Consulat Et L'Empire, Droz, Genève, 1971
Auguste Thirion (1787-1869)
LanguageEnglish
PublisherWagram Press
Release dateMay 1, 2012
ISBN9781908902665
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    Souvenirs Militaires - Auguste Thirion

     This edition is published by PICKLE PARTNERS PUBLISHING

    Text originally published in 1892 under the same title.

    © Pickle Partners Publishing 2011, all rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted by any means, electrical, mechanical or otherwise without the written permission of the copyright holder.

    Publisher’s Note

    Although in most cases we have retained the Author’s original spelling and grammar to authentically reproduce the work of the Author and the original intent of such material, some additional notes and clarifications have been added for the modern reader’s benefit.

    SOUVENIRS MILITAIRES

    DE AUGUSTE THIRION,

    DE METZ

    EXTRAIT DU «VŒU NATIONAL » DE METZ

    (25 juillet 1869)

    Nécrologie.

    « C'est avec une profonde douleur que nous annonçons la mort du commandant THIRION, l'un de nos plus anciens, plus chers et plus dévoués amis. Il s'est éteint le 21 juillet dans les bras de sa famille déplorée. Il avait 82 ans et jusqu'au mois de mai dernier il portait haut sa verte et active vieillesse. Mais depuis un mois il n'avait fait que décliner, et la mort l'a surpris dans des sentiments vraiment chrétiens, de paix et de résignation.

    « Auguste THIRION — est entré au service en 1805 et a pris part aux grandes guerres de l'Empire, quittant le sol brûlant de l'Espagne pour les steppes glacées de la Russie, faisant preuve partout d'une brillante valeur, montrant ce dévouement du soldat qui s'accommode de tout et chez qui le patriotisme est plus fort que les plus extrêmes privations. Il assista à cette glorieuse et à jamais lamentable retraite de Russie, dont ici même il a raconté les péripéties dans une série de feuilletons, qui ont été si appréciés, mais où sa modestie effaçait trop les mérites de sa personnalité…..

    « A travers les réticences du narrateur, néanmoins le militaire intelligent, le patriote éprouvé, l'homme de cœur apparaissaient comme malgré lui, et étendirent en quelque sorte le cercle des sympathies si nombreuses qu'il s'était acquises A Metz, sa ville natale, où il avait fixé sa retraite….. »

    Signé : VAILLANT.

    État de Services

    De Auguste Thirion, né le 11 décembre 1787, décédé le 21 juillet 1869, auteur des SOUVENIRS MILITAIRES

    Engagé volontaire, le 30 mai 1803, au 22ème dragons.

    Maréchal des logis, le 10 juin 1809, au même régiment.

    Maréchal des logis chef, le 23 juillet 1812, au 2ème cuirassiers.

    Sous-lieutenant, le 13 mai 1813, au 9ème cuirassiers.

    Sous-lieutenant, en 1814 et 1813, aux cuirassiers du Roi.

    Lieutenant, le 21 mai 1817, au 2ème cuirassiers (Garde royale).

    Capitaine adjudant-major, le 3 juin 1822, au même régiment.

    Chef d'escadrons, le 11 août 1830, au même régiment.

    En disponibilité, en 1831.

    Retraité, en 1838.

    Chevalier de la Légion d'honneur, le 13 septembre 1813, A Dresde.

    Chevalier de Saint-Louis, le 30 septembre 1827.

    Médaillé de Sainte-Hélène.

    Campagnes — An XIV et Allemagne. — Prusse, 1806. —Pologne, 1807. — Silésie, 1808. —Espagne, 1809.—Portugal, 1810. —Hanovre, 1811.—Russie, 1812. — Allemagne, 1813. — 1814, France en partie.

    Blessé d'un coup de lance dans le flanc droit, A Ostrolenka, le 3 février 1807.

    Blessé d'un coup de feu au pied droit, A Porto, en 1810.

    Blessé d'un coup de feu au bras gauche, A la Moskowa, le 7 septembre 1812.

    Blessé d'un coup de feu au genou droit, A la bataille de Leipzig, et son cheval tue sous lui à la même affaire, le 16 octobre 1813.

    (Extrait des archives du Ministre de la guerre.)

    TABLE DES MATIÈRES

    Nécrologie. 2

    État de Services 3

    De Auguste Thirion, né le 11 décembre 1787, décédé le 21 juillet 1869, auteur des SOUVENIRS MILITAIRES 3

    CHAPITRE PREMIER — AN IV ET 1805. - ALLEMAGNE 7

    Premier Souvenir - Ettenheim 7

    Deuxième Souvenir -  Augsbourg 9

    CHAPITRE II — CAMPAGNES DE PRUSSE, DE POLOGNE ET DE SILESIE (1806, 1807, 1808) 11

    Troisième Souvenir - Pont aérien 11

    Quatrième Souvenir - Pultusck et bataille 13

    Cinquième Souvenir – Surprise et coup de main 17

    Sixième Souvenir - Une gamelle 20

    Septième Souvenir - Contributions 21

    Huitième Souvenir - Prenslaw 22

    Neuvième Souvenir - Murat 25

    Dixième Souvenir - A Berlin.- Une baïonnette 27

    CHAPITRE III — CAMPAGNES D'ESPAGNE ET DE PORTUGAL (1809, 1810) 28

    Onzième Souvenir - Espagne 28

    Douzième Souvenir - Bénavente.- La Corogna.- Les Anglais. 30

    Treizième Souvenir - La Cantinière 31

    Quatorzième Souvenir - Le Tabac 32

    Quinzième Souvenir - Saint-Jacques-De-Compostelle 33

    Seizième Souvenir - Porto Et Le Maréchal Soult 35

    Dix-Septième Souvenir -  Guérillas 37

    Dix-Huitième Souvenir - Les Judith Et Les Holopherne 38

    Dix-Neuvième Souvenir - Retraite 40

    Vingtième Souvenir - Une colonne 41

    Vingt-Et-Unième Souvenir - Astorga 44

    CHAPITRE IV — RETOUR EN FRANCE (1811) 46

    Vingt-Deuxième Souvenir - France ! 46

    Vingt-Troisième Souvenir - Paris.- Metz 47

    CHAPITRE V - CAMPAGNE DE HANOVRE (1811) 49

    Vingt-Quatrième Souvenir - La belle Hélène 49

    Vingt-Cinquième Souvenir - Cantonnements 51

    Vingt-Sixième Souvenir - La contrebande 53

    Vingt-Septième Souvenir - Départ 55

    Vingt-Huitième Souvenir - Hanovre 56

    CHAPITRE VI — CAMPAGNE DE RUSSIE (1812) 59

    Vingt-Neuvième Souvenir - Guerre 59

    Trentième Souvenir - Le Niémen 60

    Trente-Et-Unième Souvenir - Vilna 62

    Trente-Deuxième Souvenir - Les Russes 63

    Trente-Troisième Souvenir - Ostrowno 65

    Trente-Quatrième Souvenir - Une fournée 68

    Trente-Cinquième Souvenir - Smolensk 69

    Trente-Sixième Souvenir - La Mojaïeck (5 septembre 1812) 71

    Trente-Septième Souvenir — La Moskowa (7 septembre 1812) 73

    Trente-Neuvième Souvenir - Le lendemain 77

    Quarantième Souvenir - Moskow 79

    Quarante-Et-Unième Souvenir - Séjour à Moskow 81

    Quarante-Deuxième Souvenir - Départ 84

    Quarante-Troisième Souvenir - Attaque 86

    Quarante-Cinquième Souvenir - Le trésor 90

    Quarante-Sixième Souvenir - L'étendard 91

    Quarante-Septième Souvenir - Une compatriote 92

    Quarante-Huitième Souvenir - En retraite 93

    Quarante-Neuvième Souvenir - Moral et physique 95

    Cinquantième Souvenir - L'escadron sacré 97

    Cinquante-Et-Unième Souvenir - La Bérésina 98

    Cinquante-Deuxième Souvenir - Une mort 100

    Cinquante-Troisième Souvenir - Vilna 101

    Cinquante-Quatrième Souvenir - La montagne 102

    Cinquante-Cinquième Souvenir - Kowno 104

    CHAPITRE VII - CAMPAGNES DE SAXE ET D'Allemagne (1813) 106

    Cinquante-Sixieme Souvenir- Elbing et Allemagne 106

    Cinquante-Septième Souvenir - Régiment de marche 108

    Cinquante-Huitième Souvenir - La Saxe 109

    Cinquante-Neuvième Souvenir - Campagne de Saxe 110

    Soixantième-Souvenir - Bataille de Dresde 111

    Soixante-Et-Unième Souvenir - Légion d'honneur 112

    Soixante-Deuxième Souvenir - Une mission 113

    Soixante-Troisième Souvenir - Considérations et réflexions 114

    Soixante-Quatrième Souvenir - Leipzig 115

    Soixante-Cinquième Souvenir - Les cuirassiers saxons 117

    Soixante-Sixième Souvenir - Le défilé d'Eisenach 118

    Soixante-Septième Souvenir - Le convoi 120

    Soixante-Huitième Souvenir - Hanau 121

    Soixante-Neuvième Souvenir - Le typhus 122

    Soixante-Dixième Souvenir - Un repas de corps à Thionville 123

    CHAPITRE VIII — MARMONT (1814) 125

    CHAPITRE IX — ORLEANS (1815) 133

    LOUIS XVIII — (1816) 135

    L'ODEON — (1818) 136

    CHAPITRE PREMIER — AN IV ET 1805. - ALLEMAGNE

    Premier Souvenir - Ettenheim

    Mon premier régiment, le 22ème de dragons, était en garnison à Schlestadt.

    La paix la plus profonde régnait en Europe et l'on peut juger quel fut l'étonnement général quand un soir, après la retraite sonnée, après l'extinction des feux, quand déjà les dragons étaient livrés au sommeil, les trompettes sonnèrent le boute-selle, et vite chacun de s'habiller, courir aux écuries pour obéir aux ordres impérieux de la trompette, qui, une demi-heure après sonna le boute-charge. On courut faire les porte-manteaux, les attacher sur les chevaux, et cela était à peine terminé que la sonnerie pour monter à cheval se fit entendre.

    Aussitôt le régiment en bataille, chaque cavalier reçut un paquet de cartouches et l'on rompit par quatre pour sortir de la ville à la clarté d'une illumination allumée par la curiosité des habitants stupéfiés par ce mouvement extraordinaire et nocturne de ce régiment. Malgré l'étonnement des dragons qui ne concevaient également rien à ce qui se passait, les bourgeois, mis aux fenêtres en bonnet de coton et dans le simple appareil d'un bon Alsacien arraché au sommeil, n'échappèrent point aux plaisanteries et quolibets dont, en général, le soldat est assez prodigue envers le civil qu'incivilement il nomme pékin, et il faut convenir que les figures ébahies, les coiffures quelque peu grotesques y prêtaient merveilleusement. C'était un feu roulant de :

    — Bonsoir, bonne nuit, Monsieur un tel;

    — Ne vous dérangez pas;

    — Prenez garde de vous enrhumez;

    — Voilà madame qui éternue déjà;

    — Madame, ne m'oubliez pas, je vous écrirai.

    — Ah ! papa X., votre casque à mèche est sur l'oreille;

    — Portez-vous bien, je paierai le médecin, etc.

    L'on prétend que l'on a vu quelques larmes indiscrètes, quoique silencieuses, glisser sur de frais visages, adieux muets, adressés aux volages qui s'éloignaient si inopinément.

    Hors de la ville le régiment marcha au trot jusque sur les bords du Rhin, où des barques toutes préparées le passèrent promptement sur l'autre rive.

    Jusque-là, les commentaires, les suppositions avaient été grand train, mais une fois sur le territoire étranger, il devint le territoire ennemi, et à la joie générale on décida la guerre déclarée et la campagne ouverte.

    La supposition était naturelle, et les cartouches dont chaque homme était muni donnaient du poids à cette supposition. La marche avait été calculée de manière à ce que le régiment arrivât un moment avant le point du jour près d'un gros village autour duquel les dragons tracèrent un cercle, avec défense expresse de laisser passer quelqu'un entre eux soit pour entrer, soit pour sortir du village.

    Après une heure d'attente dans cette position, on vit une berline attelée de chevaux de poste arriver en toute hâte par la route de Strasbourg et s'arrêter à la hauteur du cordon formé par le régiment. Deux personnes en descendirent et s'abouchèrent avec le colonel, M. Carlier.

    Après un colloque d'un quart d'heure à peu près, le colonel donna l'ordre à M. de Reboure, lieutenant de la compagnie d'élite, de faire mettre pied à terre aux grenadiers de son peloton, de faire charger les fusils, et de se rendre avec sa troupe dans le village devant une maison qui devait lui être indiquée par un guide arrivé sur le siège de la berline à côté du cocher, lequel guide était un gendarme français, venu, déguisé, reconnaître la localité à l'avance.

    M. de Reboure devait mettre ses grenadiers en bataille devant la maison indiquée, monter lui-même à l'appartement du premier étage et arrêter la personne qui l'habitait, avec ordre d'employer la force en cas de résistance. Tout se passa ainsi que cela avait été prévu et ordonné.

    Lorsque M. de Reboure frappa à la porte, il lui fut répondu en français: « Entrez » , et un bel homme, de bonne mine, le reçut avec politesse et lui dit: « Monsieur, depuis deux jours, plusieurs avis me sont parvenus pour me prévenir que je devais être arrêté, mais je n'y ai point ajouté foi, ne pouvant croire à une telle violation du territoire étranger, d'une puissance amie, à cette violation du droit des gens ; pourtant, je m'étais pourvu d'armes et de munitions, voyez, j'ai au moins trente coups à tirer et si on avait envoyé des gens de police pour cette arrestation, je me serais défendu et on ne m'aurait eu que mort; mais je vois sous ma fenêtre vos grenadiers, et je ne veux pas faire feu sur des soldats français. Monsieur, je suis votre prisonnier. »

    M. de Reboure envoya prévenir le colonel par un maréchal des logis, et peu d'instants après la berline s'arrêta devant la maison du prisonnier, qui y prit place en compagnie des deux messieurs qu'elle avait amenés, l'on reprit la route de Strasbourg à Paris, et quatre jours après son arrestation le prisonnier était fusillé nuitamment dans les fossés du château de Vincennes, car ce prisonnier était le duc d'Enghien, l'Héritier de l'illustre famille des Condé, dont le père, dernier de sa race, périt si mystérieusement et d'une manière si tragique à Chantilly » .

    Le 22ème dragons retourna à sa garnison par le même chemin qu'il avait suivi la nuit. Tous les régiments de dragons portaient le plumet de deux couleurs, et le 22ème, à la suite de son excursion à Ettenheim, reçut comme faveur impériale le droit et l'ordre de porter le plumet entièrement rouge.

    M. de Reboure, d'une famille affectionnée à la famille des Bourbons, ne connut le nom de son prisonnier qu'en apprenant sa fin tragique; il ressentit un profond chagrin du rôle involontaire que le sort lui avait réservé dans cette affaire ; je l'ai vu pleurer en la racontant, et à Austerlitz, un boulet qui le frappa en pleine poitrine, le délivra, avec la vie, du souvenir qui la lui rendait si amère.

    Deuxième Souvenir -  Augsbourg

    Dans le cours de la campagne d'Autriche, mon régiment, le 22ème dragons, faisait partie de la division commandée par le général Walther, surnommé le Balafré, à cause de ses cicatrices que portait sa figure, par suite des coups de sabre reçus en combattant. Six régiments, formant 3 brigades, formaient la division: 1ère brigade, 3ème et 6ème dragons; 2ème brigade, 10ème et 11ème; 3ème brigade, 13ème et 22ème. Cette division avait un avantage sur les autres divisions de la même arme. Elle était composée de régiments restés dans différentes villes d'Alsace et de Lorraine, qui n'ayant point été destinés à l'expédition d'Angleterre, n'avaient point fait partie du camp de Boulogne.

    On sait que l'Empereur ayant résolu cette expédition et ne pouvant transporter la cavalerie dont le besoin devenait imminent aussitôt le débarquement sur le sol britannique, avait fait venir à Boulogne un grand nombre de dragons à pied qui, embarqués, devaient se monter au fur et à mesure qu'en avançant dans le pays conquis on trouverait des chevaux, chaque cavalier ayant avec lui sur le bâtiment de transport, selle, bride et généralement tout ce qui compose le harnachement et l'équipement du cavalier et de son cheval. Cette idée était très ingénieuse et simplifiait beaucoup le transport, toujours très difficile, de la cavalerie dans une expédition maritime.

    Mais l'or de l'Angleterre fit éclater la guerre d'Autriche, et l'armée de Boulogne se rendit sur le Rhin à marches forcées ; on laissa à pied les dragons, et dans les différentes garnisons qu'ils avaient occupées et où les chevaux étaient restés, on envoya des recrues que l'on mit à cheval sans avoir rien de l'instruction ni de l'expérience qui sont indispensables pour former un cavalier. On conçoit quel avantage et quelle supériorité avait la division Walther, composée d'anciens cavaliers; aussi les faits d'armes glorieux de sa division lui valurent d'être appelé au commandement des grenadiers de la garde impériale.

    Agé de 17 ans et demi, je ne pus faire cette première campagne d'Autriche ; après les affaires d'Ulm et de Memmingen, je fus atteint d'une fièvre quarte et forcé de me rendre à Augsbourg, à l'hôpital, d'où je fus envoyé loger chez les habitants pour faire place aux blessés qui arrivaient en grand nombre. Je fus alternativement logé chez plusieurs habitants qui m'accueillirent avec la cordialité si connue et si réelle des Allemands.

    Je fus d'abord logé chez un riche horloger où je fis connaissance avec les démêlés d'intérieur de ménage, d'une belle-mère de 30 ans et d'une belle-fille de 19. Combien de fois, conciliateur de 17 ans, ai-je dû m'interposer entre ces deux femmes jeunes, assez jolies, qui toutes deux me faisaient jouer près du maître, père et époux, le rôle de témoin tant à charge qu'à décharge, et ce qui rendait mon rôle difficile, c'est que toutes deux me demandaient d'accuser l'autre, et ma véracité et mon impartialité étaient mises à de singulières épreuves, ne voulant me brouiller avec aucune des deux.

    Je logeai chez la veuve d'un conseiller, femme aimable et bonne, mère de deux jolies personnes avec lesquelles je lisais, dessinais, valsais les 2 jours que la fièvre me laissait libre, le troisième je le passai invariablement dans mon lit avec une fièvre comme j'ai vu peu de malades en avoir d'aussi fortes. Mon excellente hôtesse voyant que la science était impuissante à me guérir, me fit faire un de ces remèdes appelés de bonne femme, mais que dans cette circonstance j'appelai à plus juste titre un remède de cheval. Il consistait en un verre ordinaire rempli de rhum, le jus de deux citrons, une cuillerée de sel, une de poivre, le tout bien mêlé et fondu. Je crus en l'avalant avoir la bouche et surtout la gorge brûlées, pourtant j'en vins à bout à mon honneur et j'avalai rubis sur l'ongle. Ni mes hôtesses, ni moi n'avions pensé que ce breuvage dût me griser, surtout dans l'état de faiblesse et d'épuisement dans lequel dans lequel je me trouvais et à mon âge. Une fois que les fumées alcooliques du rhum m'eurent porté au cerveau, je devins d'une gaieté folle, je fis et dis des sottises, on voulut me coucher, mais bast, j'avais bien autre chose en tête: je voulais danser, embrasser mes jeunes hôtesses que l'on renvoya dans leur appartement. Comme ici-bas tout prend fin, mon ivresse se dissipa et nous rîmes souvent de mes folies, seulement la fièvre resta; je m'étais empoisonné bien gratuitement.

    CHAPITRE II — CAMPAGNES DE PRUSSE, DE POLOGNE ET DE SILESIE (1806, 1807, 1808)

    Troisième Souvenir - Pont aérien

    Dans le cours de la campagne de Pologne, en 1806, nous formions, avec la belle division de grenadiers réunis du maréchal Oudinot, l'aile droite de l'armée. Les forces russes que nous avions à combattre nous étaient bien supérieurs en nombre et notre infériorité numérique nous rendit cette campagne fort pénible, car nos efforts, tendaient à cacher à l'ennemi cette infériorité. Pour y réussir nous combattions chaque jour sur un point différent. Le soir, nous établissions nos bivouacs, nous allumions nos feux que nous rendions le plus nombreux possible, nous placions beaucoup de bois dans la direction du vent pour les faire durer la nuit, puis sans bruit, nous montions à cheval, partions et nous portions à une allure vive à quelques lieues, où nous allumions promptement de nouveaux feux. Par ce stratagème nous fîmes croire à l'ennemi que nous étions une cavalerie bien plus nombreuse qu'elle ne l'était. Nous nous trouvâmes séparés des Russes par une ligne de marais d'une assez grande étendue. Chaque armée se croyait à l'abri derrière ces marais et devait en effet s'y croire, car ils étaient impraticables même pour les piétons.

    Les habitants, pour communiquer d'une rive à l'autre et voulant s'éviter le trajet très long de contourner ces marais, avaient établi pour les piétons un singulier pont. Il était élevé sur les plus hauts sapins placés sur deux rangs parallèles ; sur le sommet de ces hauts arbres, des chevrons étaient cloués, et en travers, des planchettes posant à leurs deux extrémités sur ces chevrons formaient le tablier du pont.

    On conçut l'idée de nous faire passer sur ce pont avec nos chevaux pour surprendre l'ennemi qui certes, en pleine sécurité dans ses cantonnements, ne pouvait croire qu'il vint jamais à l'idée de risquer de la cavalerie sur cc pilotis, où les habitants osaient à peine se hasarder à pied. Notre marche, on peut dire aérienne, eut lieu avec les précautions suivantes. Nous détachâmes nos fusils des selles, les passâmes sur le dos en bandoulière, afin de rester armés dans le cas de la perte des chevaux. Contre l'usage du cavalier à pied, défense fut faite de passer le bras dans les rênes, pour que la chute du cheval n'entraînât pas celle de son cavalier. Chaque dragon devait laisser trois pas de distance entre lui et le cheval de son prédécesseur.

    On pouvait avec raison traiter ce passage de folie, car il y avait bien plus de danger pour ceux qui exécutaient ce hardi passage que pour

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