

Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique. Il préside la République des Idées (www.repid.com), atelier intellectuel qui publie ses livres en coédition avec les éditions du Seuil, où il dirige également la collection « Les livres du nouveau monde ».
Pourquoi les statistiques sur les inégalités ne suffisent-elles pas à expliquer les récents mouvements sociaux?
La première raison tient à la nature des conflits qui traversent la société. La répartition, la redistribution, entre salaires et profits, capital travail, était au cœur des revendications sociales d’autrefois. Elles existent toujours comme le prouvent les débats actuels sur le pouvoir d’achat, mais tout un ensemble de nouveaux conflits se sont, la montée en puissance de la dénonciation des contrôles d’identité au faciès ou encore les débats sur l’héritage colonial. Autant de protestations qui portent sur des rapports de domination liés à des phénomènes ressentis comme des atteintes au principe d’égalité entre les personnes, tels que le harcèlement, l’exercice d’une emprise, les violences sexuelles, mais aussi tous les problèmes de discriminations et d’injustices ainsi que le sentiment de mépris ou d’humiliation. Ce ne sont pas simplement des catégories générales qui déterminent la vie des gens. Ces conflits ne sont pas que l’expression d’une analyse macro-économique qui s’appuierait sur la mesure des inégalités, ils traduisent un ressenti.