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Les soft-skills ou le triomphe des super-pouvoirs

, telle une graine transportée d’openspace en open-space, une nouvelle mode s’est développée en entreprise (non, pas la culture de ficus en hydroponie): l’attrait pour les soft skills. Le dictionnaire d’Oxford donne la définition suivante de ces nouvelles qualités stratégiques: « Caractéristiques personnelles qui permettent à chacun d’interagir de manière efficace et harmonieuse avec d’autres personnes. » Vues jusqu’alors comme marginales, ces compétences relationnelles s’envisagent en opposition aux hard skills (bagage (Dunod, 2014). Pour le dire autrement, aujourd’hui, on a moins besoin de savoir-faire spécifiques que de méta-compétences permettant de répondre à une situation structurellement hyper fluctuante. Si les soft skills ont le vent en poupe, c’est notamment parce que l’intelligence artificielle rebat profondément les cartes en entreprise et que, dans ce contexte, personne ne sait à quoi ressemblera le monde du travail de demain: d’après une étude publiée par Dell et l’Institut du futur, 85 % des emplois de 2030 n’existent pas encore. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que même quand nos vies de bureau ressembleront à un remake du , on préfèrera toujours avoir affaire à un collègue qui est prêt à vous dépanner d’une dosette de café (soft skill), plutôt qu’à un type tirant une tête de six pieds de long parce qu’il transpire sur un process ultra-complexe dont il est le seul à maîtriser les subtilités (hard skill). La confiance, l’intelligence émotionnelle, la capacité à résoudre des problèmes, la créativité, l’audace, la vision, le sens du collectif, l’opiniâtreté, l’empathie: autant d’aptitudes douces qui, demain, feront la différence. Dans ce contexte où c’est votre sourire sur le CV qui fera pencher la balance en votre faveur (et pas seulement votre MBA), le salarié n’est plus considéré comme un composé de compétences professionnelles interchangeables, mais comme un individu singulier, avec des habiletés particulières. L’entreprise étant le domaine de l’emphase, s’est donc développée une nouvelle rhétorique associant ces soft skills aux super-pouvoirs des héros de comics, comme si le type un peu gris de la compta s’était soudain transformé en Black Panther. « Sans acte rien n’existe. Et si votre première action était de découvrir de quels [super] pouvoirs votre équipe est dotée? » écrit sur LinkedIn Chrystelle Chatelain, spécialiste en communications interne, externe et en développement de soi. À l’instar des personnages de Marvel ou de DC Comics, chacun aurait donc un petit truc enfoui au plus profond de lui, une singularité qui lui permettrait de booster la marche en avant de l’entreprise. Avec ses griffes d’acier, Wolverine pourrait, par exemple, être affecté à l’ouverture du courrier. Sans aller jusque-là, c’est parfois la simple capacité à répondre à un mail quand tout le monde fait mine de l’ignorer (ou à apporter des viennoiseries le matin), qui pourra constituer votre super-pouvoir. Alors que certains prennent cette métaphore au pieds de la lettre (Elon Musk, le Tony Stark du monde réel, a longtemps été persuadé qu’il pouvait prendre des décisions éclairées sans dormir), on peut se demander quelle est la fonction réelle de cette nouvelle rhétorique qui tente de faire passer le moindre collègue à peu près fréquentable pour un demi-démiurge. La réponse se trouve peut-être dans cette fameuse réplique du film : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », dit l’oncle de l’homme-araignée. Et si, dans une époque où les boîtes comptent de plus en plus de geeks dans leurs rangs, on était tout simplement là face à un nouveau mode de mobilisation des salariés, une sorte de super-héroïsation du quotidien professionnel sous-tendue par des visées productives? « Tous les super-héros modernes sont des êtres profonds et lourds, assumant leur mission comme un fardeau – le fardeau de la responsabilité accompagnant leurs talents surhumains, et les obligeant à faire le bien de ceux qui n’en disposent pas, quoi que ceux-ci en pensent », écrit le philosophe Laurent de Sutter, dans (Presses universitaires de France, 2016). Dans ce contexte, un conseil: n’oubliez pas la distribution de Tickets Resto, sinon le gars de l’informatique risque de se transformer en Hulk.

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